01/04/2009 TÊTU : Régine, Madonna, Mistinguett, s'il y a un spectacle qui devrait plaire aux homos en ce moment c'est bien le vôtre, vous faites un véritable hommage aux gays! Caroline Loeb : Je dis souvent en rigolant que c'est un spectacle gay friendly, mais ce n'est pas faux. Je pourrais même dire que c'est hétéro friendly tellement les gays sont présents! Parfois, j'interpelle les hétéros dans la salle pour leur demander s'ils ne se sentent pas trop isolés! (rires) J'ai été élevée par les pédés, je l'ai toujours dit. Ma vie sociale a commencé au Club 7 à la fin des années 70 avec Saint Laurent, Paloma Picasso, Fabrice Emaer... J'étais tous les soirs rue Saint Anne. Ma culture est venue par les gays de Proust à Bette Midler, grande icône gay. Donc c'est important pour moi de rendre à César ce qui appartient à César. En plus, je le dis dans le spectacle, nous autres les chanteuses, sans les pédés, on ne serait pas là ! Donc, en forme d'hommage, je chante Les femmes, ça fait pédé de Gainsbourg. Mais aussi «Monocle et col dur» de Juliette, une chanson sublime sur les lesbiennes... J'adore Juliette, et je reprends d'ailleurs son Rimes féminines qui est pour moi une espèce de synthèse du spectacle. Quand on est artiste, on se projette dans la peau d'autres artistes pour, à la fin, se découvrir soi-même. Je traverse l'univers de ces personnages pour parler de moi, de ma passion du music-hall, de choses profondes aussi comme le rapport à l'amour, au désir. J'ai une véritable passion pour Yvette Guilbert depuis l'âge de 8 ans. C'était une femme incroyable avec un physique spécial, (on disait d'elle «elle n'est pas jolie, elle est pire!») une voix qui n'en était pas une, bref un vrai personnage. Comme toutes les femmes du music-hall d'ailleurs, de Mistinguett à Madonna en passant par Joséphine Baker! Ce sont de sacrées bonnes femmes qui mêlaient culot, charisme et intelligence. J'avais envie de faire le lien entre cette famille-là et moi-même. Je me suis appropriée leurs chansons, je les ai transformées pour leur rendre hommage. Monocle et col dur de Juliette est une superbe chanson. Car outre les grandes figures du music-hall, je suis fascinée par les grandes figures lesbiennes comme Nathalie Barney, Colette, Renée Vivien, Vita Sackville-West, Virginia Woolf... Par ailleurs, j'ai une passion pour Marlene Dietrich ou Tallulah Bankhead qui, elles, ont clairement assumé leur bisexualité. J'aime l'ambivalence, la traversée des genres, ne pas se laisser enfermer dans un genre, une sexualité, un cadre... Vous vous définiriez donc comme une de ces femmes? Je ne veux pas rentrer dans ce genre de classification. Bien sûr, il m'est arrivée d'être très amoureuse de femmes, mais pour moi le désir se situe ailleurs, dans la tête. Je tombe amoureuse de personnes qui manient bien la langue (rires), c'est-à-dire le langage, l'intelligence. Les artistes sont particulièrement sensibles au désir. Quand je mets en scène un artiste, je tombe toujours amoureuse de lui ou d'elle. Sinon comment arriver à le/la sublimer ? Quand on fait quelque chose d'important avec quelqu'un, il y a forcément du désir qui passe et cela sans forcément un rapport sexuel. Ce qui est beau, c'est que l'objet amoureux est déplacé sur scène, dans le travail, sublimé. Pourtant, vous n'avez pas hésité à montrer l'amour saphique dans votre court-métrage, Vous désirez ?, tourné pour Secondsexe.com... Le cahier des charges nous demandait un film de cul et j'ai voulu décliner une proposition que j'avais amorcée dans un très beau spectacle, un cabaret érotique. C'est un film de cul pudique... Certes, on voit le sexe de la femme, mais pour moi l'érotisme se situe dans le désir. Je ne voulais pas un cunnilingus de plus, ce que je ne trouve pas très excitant dans les films pornos, à part quelques rares exceptions. Pour moi, le désir c'est d'abord un regard; dans ce film, les deux filles ne se touchent jamais d'ailleurs. Tout est dans l'attente. J'aime l'enjeu de la séduction, ce qu'on cache, ce qu'on projette sur l'autre. Avec cette collection, «Second sexe» voulait proposer un contrepoids au porno hétéro masculin qui est très hard pour les femmes avec de l'humiliation, des scènes avilissantes, de la domination brutale, bref le contraire du désir! Je préférais faire une référence à Pierre Klossowski avec une femme qui lèche la main d'une autre, plutôt que montrer une double pénétration ou une éjac faciale! C'est féministe comme point de vue... Mais je suis féministe depuis longtemps! Je trouve normal qu'on le soit, qu'on soit homme ou femme d'ailleurs ! Cette invasion de la pornographie dans notre monde pose vraiment un gros problème. Où sont passés l'esthétisme, le fantasme, l'intime, le désir? Il y a de vraies conséquences sur les pubs, les clips, la jeunesse. Dans mon travail, j'ai toujours voulu mettre en scène le désir, mais en cachant plutôt qu'en montrant. Ça, je trouve ça érotique. Outre votre spectacle, votre troisième album, «Crime Parfait», est étonnant avec des textes drôles qui côtoient des textes nettement plus sombres comme «Écorchée» ou «La place du mort»... Mais «C'est la ouate» était déjà un texte noir, comme «Marcia Baïla» des Rita Mitsouko ! Le dernier couplet de «C'est la ouate» c'est tout de même «amour par terre, et somnifères, en d'autres mots, elle se laisse faire»... C'est une chanson sur la dépression, la passivité avec certes un gimmick marrant, une musique légère, un clip rigolo, mais le fond de l'air est frais! (rires) Ce que j'écris maintenant n'est pas si différent de ce que j'écrivais il y a 20 ou 30 ans. Comme Gainsbourg ou Souchon, j'aime faire passer des choses graves d'une manière légère. C'était important pour moi d'exprimer ma sensibilité car cet album est en fait le premier album où j'ai tout contrôlé de A à Z! Caroline Loeb est au Théâtre Montmartre Galabru à partir du 7 avril, les mardis et mercredis à 21h30 dans «Mistinguett, Madonna et Moi» accompagnée par Patrick Brugalières à l'accordéon. «Crime parfait» est en vente sur le site Believe et toutes les plateformes de téléchargement légal. Le clip réalisé par Philippe Gauthier et Unreel production sera en ligne très prochainement. |
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