21/04/2009 Votre nouvel album s’appelle Je me souviens de tout. Vous vous souvenez vraiment de tout? Non, je ne me souviens que des choses qui m’importent. J’ai un capital trésor à l’intérieur de moi très important, très fort, un capital rencontres aussi. Je souhaite aux autres le quart, dans leur vie, des rencontres que j’ai pu faire. Quand j’y repense, c’est inouï. Si vous ne deviez retenir qu’un seul souvenir de votre vie ? Il y a un souvenir très physique, une grande image pour moi. J’avais 20 ans et c’était la première fois que j’allais dans le Midi. Je marchais seule et nus pieds sur un petit muret qui séparait la plage de la route et tout à coup, juste au-dessus, je vois deux yeux. Je connaissais ses yeux mais impossible de savoir qui c’était… Là, j’entends une voix rocailleuse avec un accent espagnol somptueux qui me dit: «C’est toi Gréco», «Oui monsieur», «Moi c’est Picasso, qu’est-ce que tu fais, pendant que les autres prennent des bains de soleil, tu prends des bains de lune !» C’est une vraie image, fugace, car il est vite reparti jouer avec ses enfants… Et, à l’inverse, si vous pouviez effacer un souvenir? Rien. Je n’effacerai ni mon passage en prison, ni les interrogatoires par la Gestapo. Ce fut utile à ma force. Ça m’a construit puisque ça ne m’a pas détruit… La seule chose qui pourrait me détruire, c’est le malheur des autres, de ceux que j’aime. Mais par rapport à moi, je n’ai aucun regret, même pas celui d’avoir giflé mon tortionnaire de la Gestapo. Ça m’a coûté très cher, mais je suis très contente de l’avoir fait, encore aujourd’hui. Ça dénote mon tempérament d’ailleurs. On dit de moi que je suis forte, je dirais plutôt que je suis courageuse, je veux ce que je veux et je ne veux pas ce que je ne veux pas ! Comme me le rappelait souvent ma mère, le premier mot que j’ai dit ce fut «NON» ! Qu’est-ce qui vous a le plus émerveillé tout au long de vos 60 ans de carrière? Tout le monde, vraiment. Il faut dire que je n’ai pas rencontré des pommes ! J’ai toujours évité soigneusement la bêtise car elle me déprime. J’ai toujours privilégié les relations avec des gens qui ont des choses à dire, que ce soit mon jardinier ou un grand artiste… Et les choses qui vous ont le plus énervée ? Les cons, en général. Et en bloc ! Le sombre con est celui avec lequel on parle et auquel tout à coup on ne peut plus parler. Il n’y a plus de mot car le mec ne comprend rien. Je me souviens d’un épisode avec un grand para, excessivement à droite, homophobe, la totale ! Un superbe mec comme quoi l’oiseau de l’intelligence ne se pose pas toujours sur la bonne branche ! J’ai fini par lui asséner un coup de poing, il avait la lèvre fendue. Je l’avais pourtant prévenu en lui disant que j’allais finir par lui casser la gueule, il n’y croyait pas évidemment… Il n’arrêtait pas de me parler des pédés, des gouines, des gauchistes, avec un langage fleuri… Ça m’avait mise en ébullition ! Etes-vous encore capable d’être émerveillée en ce début de 21e siècle ? Oui, mais c’est différent. Les regrets et la nostalgie ne me parlent pas. Ce qui me parle c’est découvrir, trouver, rencontrer. Peut-être que c’est moins heureux qu’avant… Il y a moins de foisonnement, ça ne fourmille plus autant. De temps en temps, il y a quelque chose d’intéressant dans le monde de l’art… J’ai vu partir César avec un infini regret, c’est dommage. Mais qui va continuer, qui va prendre une place égale ? Je ne sais pas, je ne vois pas… En fait, en ce moment, nous sommes en joyeuse régression, en triste régression devrais-je dire… Moi qui ait connu une époque d’hyper activité politique et culturelle, je suis atterrée de la fadeur de l’époque. À part un Lévy qui s’agite parfois… Je suis inquiète parce que je vois, non sans un certain sourire au coin des lèvres, la vengeance de l’argent. L’argent ne nous veut plus, il nous méprise, il se fout de notre gueule ! Cette religion de l’argent qu’on a depuis des décennies nous venait d’Amérique et elle se venge depuis l’Amérique. En parlant de régression, que pensez-vous des propos de Christine Boutin sur l’homoparentalité? La malheureuse, je la plains de tout mon cœur. Elle qui est si proche de Dieu, il faut qu’elle prie. Peut-être que le Saint Esprit vient de lui descendre sur la tête pour la ramener à la raison puisqu’il a l’habitude de faire ça à la Pentecôte ?! (rires) J’ai beaucoup milité très jeune et très tôt pour la liberté, quelle qu’elle soit. Moi qui ne défile jamais, j’avais tout de même participé à une marche contre l’homophobie. Je me suis fait cracher à la figure au sens propre du terme ! Les gens nous tapaient dessus. C’était beaucoup plus chaud qu’aujourd’hui. Je crois, en fait, que l’homoparentalité n’intéresse pas tellement les gens, les catholiques certainement, les musulmans je ne sais pas, les israélites pratiquants sont hérissés par la chose… Tout le monde a oublié que Jésus vivait avec 12 apôtres ! On a fait de vagues réflexions sur ce pauvre Jean-Baptiste… (rires) Mais bon tout cela serait comique si ce n’était pas aussi sinistre. L’adoption, c’est pareil. Au final, qu’est-ce qui est important? Un «pôpa» et une «môman» ou deux papas ou deux mamans ? Je ne vois pas le but de ce combat mené par Boutin et les autres, sincèrement je ne comprends pas. Un enfant a besoin d’amour, point. Quand un bébé sort de vous, il n’est déjà plus à vous, il est quelqu’un. Qu’est-ce qu’on veut nous faire croire avec ce discours rétrograde ? Beaucoup plus nuancé que vous, Thierry Ardisson déclarait récemment dans Têtu: «Quand on a un fils de 17 ans qui n’est pas votre fils et qu’il est désirable… la nature humaine.»… C’est immonde de penser une chose comme ça. Ça m’étonne de lui, il avait bu de l’essence ou du kérosène ! (rires) C’est impensable, inimaginable. Il oublie que les parents adoptifs ont une responsabilité parentale avant tout, donc une responsabilité très importante. Le fait de ne pas «fabriquer» soi-même son enfant vous donne une responsabilité encore plus importante. Ce genre de propos entretient encore plus le malaise par rapport à l’homoparentalité, je suis très choquée ! Vos commentaires prouvent que vous êtes toujours à la pointe de l’actualité, comme vos disques où de jeunes auteurs vous écrivent des chansons : Olivia Ruiz, Adrienne Pauly, Abd El Malik… C’est un choix de votre part ? Oui, c’est moi ! En fait, pour cet album, j’ai demandé à mon directeur artistique de me trouver des textes de filles, jeunes… Et les moins laides possibles ! (rires) On a réussi notre coup même si Brigitte Fontaine n’est plus une jeune fille ! Mais c’est difficile de trouver des auteures, il nous manquait des textes et comme il y a plus de garçons qui écrivent, on trouve la présence d’Abd El Malik, Maxime Leforestier, Miossec… Vos choix sous-tendent que vous n’êtes pas passéiste, vous êtes à l’écoute de ce qui se fait… Absolument, je n’écoute pas Brel et Brassens à longueur de temps ! D’ailleurs j’écoute surtout du classique, Mozart ou Bach. J’écoute également tout ce qui sort de nouveaux, je me renseigne sur les artistes débutants. Je les découvre à la radio et parfois à la télévision même si je n’ai jamais pu regarder la Star Academy. Je ne comprends pas cette émission… J’ai été élevée à l’écoute des autres, et je dois dire que c’est ce qui me passionne dans la vie. Quand j’aime j’y vais de toutes mes forces, je suis un vrai chien de chasse ou une chienne de chasse si vous préférez ! (rires) Pourquoi vous n’écrivez pas vos textes ? Vous l’avez pourtant fait à plusieurs reprises (Pays de déraison, L’amour trompe la mort, L’enfant secret, Fleur d’orange)… Vous êtes comme mon mari vous, au revoir ! (rires) Non, sérieusement, je n’ose pas. En plus je suis flemmarde et j’ai de très bons auteurs, alors… Vous avez 82 ans, vous avez envie, parfois, de vous arrêter définitivement ? Oui, bien sûr ! Mais ce sentiment de ras-le-bol dure huit jours, voire cinq, après ça me gonfle. Malheureusement je ne fais pas autant que je voudrais. Le corps ne suit pas toujours, l’intendance ne suit pas la tête. Ça m’exaspère profondément d’ailleurs. Heureusement, j’ai une volonté de fer, la douleur ne m’arrête pas. Il n’y a guère que si je me retrouve à l’hôpital que je m’arrête. Je me sens toujours capable de toutes les folies ! |
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