12/01/2010 Septembre 2004, Françoise Sagan meurt des suites d'une embolie pulmonaire. Criblée de dettes, elle laisse son fils unique Denis Westhoff face à une grave décision: refuser l'héritage ou rembourser le fisc et sauver ainsi l'œuvre de sa mère. Aujourd'hui, Denis Westhoff peut enfin faire rééditer les livres de Sagan. Denis WesthoffAprès deux ans de négociations, en 2006, l'administration fiscale accordait enfin sa confiance à Denis Westhoff, 47 ans, fils unique de Françoise Sagan. Celui-ci pouvait remettre la machine Sagan en marche. Accueilli à bras ouverts par Jean-Marc Roberts des éditions Stock en 2008, Denis Westhoff, fait aujourd'hui revivre l'œuvre de sa mère. Bilan du sauvetage après trois mois de réédition. TÊTUE: Comment se passe la réédition de l'œuvre de Françoise Sagan? Quel est votre combat aujourd'hui? DENIS WESTHOFF: La réédition est un succès. Surtout Toxique (journal de désintoxication de Françoise Sagan) vendu à plus de 65.000 exemplaires. Quant aux deux autres romans parus en même temps, Les Bleus à l'âme et Des yeux de soie, on est à plus de 10.000 exemplaires. C'est très encourageant. Jusqu'en 2011, tous les titres des années 1970 et 1980 continueront d'être publiés chez Stock. Les romans Un peu de soleil dans l'eau froide (1969) et Le Lit défait (1977) paraîtront en mars 2010, ainsi que La Fourmi et la Cigale, célèbre fable de La Fontaine revisitée. Mon obsession était de rééditer l'intégralité de l'œuvre. À sa mort en 2004, elle était criblée de dettes, deux millions d'euros. J'ai dû convaincre Bercy que Françoise Sagan faisait partie du patrimoine français. La décision de sauver ou non son œuvre était entre les mains de personnes qui n'y connaissaient rien en littérature. Je leur ai proposé de tout reprendre en main, de relancer l'édition de façon à faire rentrer de l'argent. Après deux ans de négociations, Bercy a enfin accepté d'échelonner les remboursements. J'ai tout relu et ça m'a convaincu qu'il fallait absolument rééditer l'œuvre dans son intégralité. C'est moderne, agréable à lire, son style est percutant, on se retrouve à chaque page… J'aimerais que les jeunes s'inspirent de son goût pour la liberté. Elle considérait que les livres étaient le vecteur essentiel pour s'ouvrir l'esprit et faire appel à son imagination. Elle avait raison. J'ai rencontré quelques éditeurs avant Jean-Marc Roberts (Stock), mais aucun d'entre eux n'a accepté de rééditer tout Sagan selon mes conditions, à savoir rassembler tous ses titres: les livres orphelins, non édités ou plus édités chez d'autres éditeurs. Que s'est-il passé avec la maison d'édition Julliard, l'éditeur historique de Sagan? Je me suis rendu compte que Julliard, son premier éditeur, ne faisait strictement plus rien depuis quinze ans. Il n'y avait quasiment plus un seul de ses livres en librairie. J'ai monté un dossier contre Julliard pour leur demander des comptes. Selon eux, l'œuvre de ma mère serait d'une autre époque, un peu désuète, le lectorat ne serait plus au rendez-vous. Nous les avons donc amenés au tribunal en demandant de forts dédommagements. Quinze ans avant la mort de ma mère, c'était déjà la pagaille. S'ils avaient un peu plus travaillé à cette époque, ma mère n'aurait pas été aussi endettée à la fin de sa vie. Elle aurait eu la force de continuer à écrire. Quels sont vos projets en dehors de la réédition de l'œuvre complète de Sagan chez Stock? Beaucoup de projets de traduction à l'étranger. La Chine a déjà acheté Toxique, les Grecs s'y intéressent aussi. Les Russes adorent le théâtre de ma mère depuis toujours. Il ne se passe pas un jour sans qu'une pièce de Sagan soit jouée en Russie. L'œuvre de Sagan est beaucoup plus exploitée à l'étranger qu'en France. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle Julliard ne se fatiguait pas. Les livres se vendaient très bien à l'extérieur sans qu'ils aient rien faire. Concernant les projets d'adaptation cinéma, j'ai été contacté en 2008 par une major américaine pour les droits de Bonjour tristesse. Entre temps, la crise est passée par là. Ils ont malheureusement perdu leur enthousiasme… Je vais également sortir la plupart des titres en version pour iPhone, Blackberry et «readers». Bref, j'essaye de me débattre avec tout cela. Pensez-vous que votre mère serait heureuse de tous les efforts déployés pour sauver son œuvre? Elle ne s'intéressait absolument pas à sa postérité. Elle pensait qu'il n'y avait rien après la mort et se fichait pas mal de ce qu'allaient devenir ses livres. Mais bon, pour me consoler, je me dis que si elle pouvait voir tout ce que je fais pour elle, peut-être serait-elle contente… On connaît bien la vie de Françoise Sagan, moins celle de votre père Robert Westhoff. Qui était-il? Comment se sont-ils connus? Mon père était mannequin et non sculpteur comme on a pu le dire. Il habitait à Montmartre dans un ancien atelier d'artiste et pour sauver les apparences, il a fait croire à ma mère qu'il était sculpteur. C'était un homme d'une autre époque, pas travailleur du tout, très cultivé, mais détestant les contraintes. Il avait quitté les États-Unis pour faire une séance de photo sur un paquebot en France. Charles, un ami new-yorkais, lui avait donné le numéro de Paola (ma future marraine) pour qu'il ne soit pas trop perdu en arrivant en France. Charles, qui était homosexuel, et Paola, qui avait à l'époque une aventure avec ma mère, ont décidé de se marier. Paola a demandé à ma mère de lui prêter sa maison en Normandie pour leur lune de miel. Elle lui a également demandé de venir avec eux prétextant que Bob serait là pour lui tenir compagnie. À peine mariés, Charles et Paola s'envoyaient déjà des assiettes à la figure. Quand les éclats de voix devenaient trop forts, mon père et ma mère prenaient la voiture et partaient tous les deux sur les routes. C'est à cette période que j'ai été conçu, je pense… Ils ont ensuite divorcé rapidement, ma mère ne supportant pas d'être mariée. Ce n'est que dix ans plus tard qu'ils se sont vraiment séparés. Quelle question vous a-t-on le plus posée sur votre mère? Était-elle maternelle? J'ai dû l'entendre des dizaines de fois. On l'a tellement caricaturée que les gens ne pouvaient pas concevoir qu'elle ait eu un enfant. Pour beaucoup j'ai été un mystère, un accident. Mais je sais que j'ai été désiré. Vers la fin de sa vie, cette caricature était devenue totalement ridicule, si bien que quand un journaliste lui demandait de faire le récit de ses journées, elle racontait qu'elle se levait à midi, prenait le volant de sa voiture, roulait à 200km/h dans Paris, écrasant trois vieilles dames sur un passage piéton pour aller déjeuner chez Lipp où une dizaine d'amis l'attendaient... Pourtant, vivre avec elle, c'était une vie tout à fait normale. Elle avait ses rendez-vous avec les journalistes, les éditeurs, elle écrivait, signait des contrats, etc. À propos du roman qui l'a révélée Bonjour tristesse, elle écrivait: «J'ai d'abord fait croire à mon entourage que j'écrivais un roman, à force de mentir j'ai fini par l'écrire.» Était-ce de la modestie? C'était sans doute de la modestie. Mais elle se doutait qu'elle avait un petit quelque chose en plus. Pour l'anecdote, deux mois avant l'écriture de Bonjour tristesse, une voyante lui avait prédit: «Vous allez écrire un livre et le succès de ce livre ira au-delà des océans.» Au lieu de passer l'été à Hossegor comme prévu, elle est rentrée à Paris en plein mois d'août et s'est enfermée pendant un mois avec cette idée de livre en tête. Comme tous les gens de son âge, elle était attirée par la gloire et les étoiles, mais quand le succès lui est tombé dessus, elle a trouvé ça très lourd. On parlait d'elle tous les jours dans les journaux. C'était un raz-de-marée. Très vite, ce succès l'a barbée. Quel était son moteur pour continuer à écrire? Souvent les problèmes d'argent. Quand l'éditeur lui donnait ses à-valoir, elle croquait l'argent assez vite. Et quand il rappelait trois mois plus tard pour avoir son manuscrit, elle était acculée et se mettait au travail. Elle était alors d'une rigueur et d'un engagement incroyables. En parlant d'engagement… Elle a signé en 1971, le «Manifeste des 343 salopes contre l'avortement». Était-elle féministe? Quels auraient été ses combats aujourd'hui? Se serait-elle engagée pour la visibilité ou le mariage pour les homos? Elle n'était pas vraiment une auteure engagée. Concernant l'avortement, elle trouvait simplement honteux que les femmes meurent en se faisant avorter par des tricoteuses. Mais elle n'avait aucun engagement féministe. Quant au mariage pour les homos, je pense qu'elle n'aurait pas pris position sur ce sujet. La notion même de mariage était très ennuyeuse pour elle. Concernant la visibilité, sa vie privée devait rester privée et même aujourd'hui, elle ne l'aurait pas affichée. Elle ne m'en a jamais parlé. Elle ne parlait jamais d'argent, de politique, de religion ou de sexe. Ça venait sans doute de son éducation bourgeoise. Personnellement, la vie sexuelle de mes parents ne m'intéressait absolument pas et je n'ai jamais posé de question. Très pudique, elle demandait parfois même à Peggy Roche de rester à la maison quand elle était invitée dans des dîners ou de grands galas à l'Élysée. Elle était tiraillée entre son éducation bourgeoise et sa liberté. D'après moi, elle aurait eu cette même pudeur aujourd'hui. Comment définiriez-vous sa relation avec son amie la styliste Peggy Roche? C'était une histoire de tendresse et d'amour. Pendant quinze ans, Peggy l'a protégée, habillée, coiffée, maquillée, elle m'a éduquée aussi… Elle s'occupait de toutes les choses pratiques à la maison. Elle était son pilier. Ma mère prenait entièrement appui sur elle. Quand Peggy est partie (cancer du foie), tout s'est écroulé. L'espace de trois ou quatre ans, elle a perdu tous ceux auxquels elle tenait: sa mère, son père, Jacques Chazot son meilleur ami, mon père Robert Westhoff, et Peggy Roche son ange gardien. Ajoutés à cela, ses problèmes financiers. Elle a eu un trou noir et ne s'en est pas sortie… Aujourd'hui, elle est enterrée entre mon père et Peggy Roche à Seuzac (dans le Lot). Qui admirait-elle? Elle avait une fascination pour Orson Welles et de l'admiration pour les écrivains de sa génération comme la romancière américaine Carson McCullers, un de ses écrivains préférés, Tennessee Williams ou Jean-Paul Sartre. Quelques mots pour définir Françoise Sagan? Courage. Elle n'avait vraiment peur de rien. Elle a toujours eu beaucoup de chance et elle tentait chaque jour de repousser d'en atteindre les limites. Fidélité. Elle était d'une intégrité totale, elle n'a jamais trahi personne, elle ne disait jamais du mal de quelqu'un. Et élégance. Mais ça va avec l'intégrité. Elle était d'une rare élégance morale. Un livre pour mieux la connaître? Un certain regard (L'Herne), une compilation d'interviews dans lesquelles elle se raconte. Et comme roman: Avec mon meilleur souvenir. |
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