22/03/2010 ENQUÊTE. Alors qu'un rapport alarmant sur les prisons françaises fait les titres des journaux, TÊTUE s'est intéressé aux relations amoureuses entre détenues dans ce milieu de grandes frustrations et de violences. Les femmes hétéros y seraient moins bien traitées que les lesbiennes… Josiane a 60 ans, elle a été incarcérée pendant 4 ans et demi, dont presque la moitié dans un fauteuil roulant à cause d'une mauvaise chute. «Je ne pouvais rien faire, même pas ma toilette, alors croyez-moi j'ai eu le temps d'observer et les histoires d'amour entre filles, ce sont surtout des histoires de cul.» Pourtant, en prison, le droit à la sexualité n'est pas reconnu et les relations sexuelles, formellement interdites. Mais dans la réalité de la vie carcérale, qu'est-ce que l'intimité sexuelle et qui plus est, quand on est lesbienne? «C'est toléré, il arrive même qu'on pousse deux filles qui ont des affinités à se mettre en couple. Et puis elles sont soutenues par la direction et les surveillants. La preuve: les doublettes (chambres doubles) sont réservées aux lesbiennes pour éviter les suicides», explique Josiane. Selon Gwenola Ricordeau, sociologue et auteure du livre Les Détenus et leurs proches, «c'est indéniablement plus "facile" d'être homosexuelle qu'homme homosexuel, en prison. Les violences physiques et verbales lesbophobes sont moins importantes que ce qui s'observe dans les détentions masculines, à l'égard des homosexuels et des transsexuelles» avant d'ajouter néanmoins que «les femmes détenues, prises dans leur ensemble, ne sont quand même pas dépourvues de préjugés lesbophobes. En cela, elles ne diffèrent pas de la population générale». Combler les besoins sexuels Josiane est donc perplexe quant à l'amour qui peut exister entre détenues. «Certaines disent qu'elles sont amoureuses et font des projets de pacs et d'enfants, mais je pense que la plupart du temps, une fois dehors, elles retrouvent une vie d'hétéro ou se séparent.» Gwenola Ricordeau estime, quant à elle, que les histoires d'amour existent. «Il ne s'agit pas pour moi d'une "sexualité de circonstance", ces histoires amoureuses et ces pratiques sexuelles ne peuvent pas être anecdotiques. De fait, elles obligent ces femmes à repenser leur sexualité, leurs attentes et désirs amoureux. Qu'elles aient, en sortant de prison, des partenaires hommes ou femmes.» L'ex-détenue fait également la différence entre les femmes qui étaient homosexuelles avant d'entrer en prison, celles qui le sont devenu par manque d'amour et de tendresse, et celles qui «essaient juste une fois». Devenir lesbienne en prison Dès lors, peut-on dire que l'on devient lesbienne en prison? Toujours selon la sociologue ce serait un peu trop réducteur. «C'est, d'après les entretiens que j'ai réalisés, un peu rapide de dire cela en ces termes. Certes, certaines des femmes que j'ai interrogées disent que c'est en prison que, pour la première fois de leur vie, elles sont tombées amoureuses d'une femme, ou qu'elles ont des relations sexuelles avec une femme. Parmi elles, certaines se considèrent désormais comme "homosexuelles", d'autres non. Souvent les termes "homosexuelle" ou "lesbienne" leur fait un peu peur, comme s'il était réducteur ou définitif.» Josiane avoue d'ailleurs sans complexe «on les appelle "les lesbiennes" et elles aiment pas trop ça». Josiane ne se dit pas homophobe. «Moi je m'en fiche, tant qu'elles viennent pas me titiller, elles font ce qu'elles veulent.» Mais si la situation est acceptée, elle dérange parfois la sexagénaire. «J'avais un couple de lesbiennes au-dessus, à gauche et à droite de ma cellule. Un jour j'ai écrit au directeur car je n'entendais plus ma télévision. Il m'a répondu de fermer ma fenêtre, mais les bruits passent par les conduits des toilettes. C'était comme si elles étaient au téléphone avec moi, j'étais même au courant quand elles commandaient des trucs cochons sur les 3 Suisses». Des relations intimes qui dérangent Mais ce qui contrarie le plus Josiane, c'est l'inégalité de traitement entre les détenues homosexuelles et hétérosexuelles. «Ce n'est pas normal qu'on autorise les relations sexuelles entre femmes, alors que les hétéros ne peuvent jamais en avoir avec leur mari. Surtout que très souvent le mari est incarcéré en face. Une fois par semaine y'a le parloir, mais on fait pas non plus tout ce qu'on veut.» Dans un son article Sexualités féminines en prison: pratiques, discours et représentations, paru dans la revue Genre, sexualité & société, Gwenola Ricordeau explique que si les rapports hétérosexuels au parloir sont plus surveillés, c'est pour empêcher les détenues de tomber enceintes. «La police de la sexualité qui s'exerce dans les détentions féminines est accrue au parloir: elle y est autrement sévère que celle qui s'observe dans les parloirs des détentions masculines. Chez les femmes détenues, c'est essentiellement la sexualité reproductive qui est surveillée, puisqu'elle est, pour reprendre l'expression de Moulin (2007, 84), "synonyme de défaillance de l'institution".» Des liaisons loin d'être idylliques En apparence ces relations homosexuelles semblent idéales. Mais sans parler du cadre dans lequel elles naissent, les passions lesbiennes en prison sont très loin de la parfaite romance. «Je ne suis pas psy en milieu carcéral, mais il est évident que la prison n'est pas le meilleur endroit pour vivre une histoire d'amour, pour découvrir une nouvelle sexualité, ou pour réfléchir à une identité comme celle de "lesbienne" ou d' "homosexuelle"», précise Gwenola Ricordeau. L'ancienne détenue Josiane, elle, va encore plus loin et évoque une extrême violence, physique comme psychologique. «Les couples se font, se défont, et se déchirent violemment. Elles cherchent sans arrêt à aller voir ailleurs, du coup dans un milieu aussi fermé ça crée des tensions et des bagarres, au sein des couples et entre les couples.» Un mode de fonctionnement qui dépasse Josiane, peu habituée aux relations volages. «Dès qu'une entrante arrivait on entendait: "tiens voilà de la chair fraîche qui arrive", ça me choquait. Elles voulaient peut-être pimenter leurs relations, mais elles finissaient par se battre à coup de fourchette, et à cause des déceptions amoureuses, beaucoup de filles tentaient de se suicider». Au delà des violences «conjugales», Josiane évoque aussi les agression sexuelles entre détenues. «Une fille avait ligotée sa co-détenue avec du gros scotch et fait ce qu'elle avait à faire. Ces choses-là, ça existe vraiment, et je pense même que ça a dû arriver plus souvent mais qu'on ne l'a jamais su.» Dans son article, la sociologue nuance ces propos. Selon elle, si elles existent, «ces violences sont bien plus fréquentes dans les détentions masculines que féminines». ET LES MATONS DANS TOUT ÇA? A. est surveillante pénitentiaire dans le sud de la France. Elle a souhaité garder l'anonymat mais a répondu aux questions de TÊTUE. Elle confirme un manque évident d'intimité pour les détenues. TÊTUE: On voit que la nature des relations homosexuelles en prison divise. Qu'en pensez-vous: amour ou pulsions sexuelles? A: Je pense qu'en grande partie c'est une sexualité de circonstance car une majorité d'entre elles n'avaient jamais eu de relation avec une autre femme à l'extérieur. Cependant il arrive que certaines tombent réellement amoureuses, et dans ce cas, c'est souvent une relation où l'une a un ascendant psychologique sur l'autre. Josiane, ex-détenue évoque dans notre enquête des violences sexuelles entre femmes, est-ce une réalité? Il en existe, hélas, beaucoup plus souvent chez les hommes que chez les femmes tout de même. Je n'ai jamais eu à faire face à une telle situation, nous avons eu des doutes, mais le silence des détenues et le peu de confiance qu'elles ont envers les «bleus» (matons) ne nous permet pas toujours d'être présents. Favorisez-vous les relations homosexuelles? On ne les favorise pas, mais si elles demandent à être «doublées» (partager la même cellule) et qu'aucune raison réglementaire interdit le doublement de ces femmes, alors elles sont mises dans la même cellule. Comment le personnel pénitentiaire, dans son ensemble, perçoit les relations homos? Certains sont étonnés, ou choqués, un peu comme à l'extérieur. Le plus dérangeant, pour les détenues comme pour nous, c'est que nous sommes confrontés à l'intimité et au quotidien de ces femmes [lors de leurs tournées, les «matons» tombent parfois sur des couples en plein acte sexuel, ndlr]. Mais de manière générale on reste distants, et on se comporte de la même manière avec les détenues ayant ou non des rapports homos. Comment gérez-vous cette omniprésence dans l'intimité des détenues? On fait avec! On tombe parfois au mauvais moment. Mais cela n'arrive pas régulièrement, alors on en rigole, et on continue notre travail. Vous-même êtes homosexuelle, est-ce un atout face à ce genre de situation? Je ne suis pas «outée» auprès des détenues, mais je comprends peut-être un peu plus, et je suis moins étonnée. Parfois je remarque certaines choses, des regards ou des sourires entre détenues, et ça facilite mon travail, de savoir qui s'entend ou ne s'entend pas avec qui, et qui pourrait être en danger pour ces raisons là. Le sixième sens comme on dit: on le sent, on le sait! (rires) |
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