26/01/2011 Lundi et mardi, les quatre bourreaux de Bruno Wiel devaient donner leur version des faits devant la cour d'assises. Contradictions, amnésie... et début d'aveu d'homophobie. Le récit des audiences. Lundi et mardi se sont déroulées devant la cour d'assises de Créteil, des audiences capitales dans le procès des agresseurs de Bruno Wiel, retrouvé nu, battu et violé, dans un parc de Vitry-sur-Seine: l'audition des accusés et l'établissement des faits. De longs débats laborieux, où les accusés se sont contredits, revenant sans cesse sur leurs déclarations, jouant de l'oubli et de l'incohérence. Avant d'avouer, mardi matin, le caractère homophobe de cette agression. Retour sur deux jours de revirements. «Je ne sais plus», «j'ai oublié», «c'était il y a longtemps Monsieur le président», autant d'esquives auxquelles les accusés ont eu recours lundi et mardi, durant des audiences cruciales qui visaient à établir les faits qui ont conduit Bruno Wiel a être retrouvé agonisant dans un parc de Vitry-sur-Seine. Dans cette affaire sans témoins et où la victime ne se souvient de rien, seuls les accusés peuvent raconter ce qui s'est passé la nuit du 20 au 21 juillet 2006. Mais, prostrés dans leur box, le regard baissé, les quatre jeunes hommes, dont le parcours de vie chaotique a été longuement tracé la semaine dernière, se sont fréquemment défaussés face aux questions, invoquant l'oubli, notamment dû à leur consommation excessive d'alcool le soir des faits. Quand ils sont interrogés, ils se contredisent, s'accusent mutuellement et reviennent sur leurs propres dépositions, allant jusqu'à lâcher que tout ce qu'ils ont déclaré durant l'instruction était «n'importe quoi» De cette nuit, peu de faits précis émergent. Les accusés racontent qu'ils sont partis de Thiais «pour errer sur Paris, d'arrondissements en arrondissements», tout en buvant du whisky. A la fin de la nuit, ils s'arrêtent place du Châtelet et font la rencontre de Bruno Wiel, qui rentrait, un peu éméché, d'un bar de la rue des Lombards et qui a fini dans leur voiture. Les minutes qui séparent ces deux moments, et les raisons précises qui ont poussé les accusés à partir avec Bruno Wiel, restent les principales zones d'ombre de l'affaire et les versions des quatre accusés divergent. Tous déclarent d'abord que l'homosexualité de Bruno Wiel n'est pas entrée en compte. Pour Julien Sanchez, qui pourtant affirmait dans une précédente déposition n'avoir pas «remarqué» l'homosexualité de Bruno Wiel, c'est leur victime qui leur aurait «proposé de boire un verre». «Il est venu à notre rencontre. Il avait une attitude équivoque et nous faisait comprendre qu'on lui plaisait, on ne l'a pas forcé à monter», explique-t-il. David Deugoué N'Gagoué a lui «oublié» comment ils ont rencontré Bruno Wiel mais affirme qu'il est «monté facilement dans la voiture». D'un ton hésitant, cherchant maladroitement ses mots, ce jeune homme à la carrure imposante finit par expliquer avoir «feint l'homosexualité» et sous-entendu un plan à 5 dans un hôtel pour que Bruno Wiel les suive. Quand on demande aux accusés pourquoi ils ont voulu que Bruno Wiel les rejoigne, ils disent n'avoir eu qu'un seul but: «le dépouiller». Pour Bruno Wiel, cette version est improbable, et il assure qu'il n'aurait jamais suivi des inconnus dans une voiture: «j'ai peut-être oublié cette nuit-là mais je sais qui j'étais. J'étais prudent et ne quittais jamais Paris intra-muros». Une prudence confirmée par tous ses proches. Et quand l'avocat général rappelle à David Deugoué N'Gagoué que, dans une précédente déposition, il avait déclaré que Bruno Wiel avait longuement refusé de les suivre, l'accusé se contente de répondre qu'il ne se souvient plus vraiment. Une fois dans la voiture, Bruno Wiel aurait eu, selon les accusés, un comportement «excité» et aurait tenté de s'asseoir sur eux. Julien Sanchez et David Deugoué N'Gagoué en profitent alors pour le fouiller. «On voulait voir s'il avait sur lui des biens personnels mais il n'avait rien. On a palpé ses cuisses et son torse, il a pu croire que je lui répondais du fait que je le touchais», raconte Julien Sanchez, d'une voix sourde. Mais quand Maître Maltet, avocate de Bruno Wiel, lui rappelle que son client portait un tee-shirt et n'avait donc pas de poche à fouiller sur le torse, il se terre à nouveau dans un silence gêné. «On ne va pas se leurrer M. le Président, le but de faire monter M Wiel dans la voiture était crapuleux», se justifie Antoine Soleiman, ancien étudiant en droit, au verbe haut et châtié. Pourtant, quand ils se sont aperçus que Bruno Wiel n'avait ni argent, ni téléphone, ni carte bleue sur lui, ils ne l'ont pas relâché et l'ont emmené dans le parc de Vitry-sur-Seine. Qui a eu cette idée? Aucun des accusés ne s'en souvient, toutes leurs versions se contredisent. Ce qu'ils comptaient faire avec Bruno Wiel? «Délirer» en l'abandonnant dans le parc, juste «une blague de mauvais go» aux yeux de David Deugoué N'Gagoué. L'homosexualité de Bruno Wiel a-t-elle joué un rôle dans leur décision ? Tous affirment que non. Pourtant, Yohan Wijesinghe, qui conduisait la voiture, admet qu'il a ressenti du «dégoût» en voyant ses «potes jouer au gay» à l'arrière. «On voulait juste le dépouiller dans le parc, explique-t-il. Mais après, c'est allé trop loin...» L'explosion de violence inouïe qui a suivi, aucun accusé ne parvient à l'expliquer. Au moment de l'évoquer, tous se défaussent et minimisent leurs actes. Antoine Soleiman admet avoir donné «la première baffe, parce que Bruno Wiel s'est approché avec la braguette ouverte». En larmes, Julien Sanchez avoue avoir violé Bruno Wiel avec un bâton. Mais les brûlures de cigarettes ou les coups sur la tête restent sans responsable. A la fin de la journée, Bruno Wiel ne cache pas sa colère : «J'ai envie de rigoler tellement c'est pitoyable. Cela fait quatre ans et demi que j'attends des explications (...). Ils se contredisent entre eux. Il n'y a aucune émotion, ils ne réagissent pas. Je suis vraiment dépité.» A la barre, Bruno Wiel garde son calme, parle presque avec détachement, pour raconter comment ce drame a détruit sa vie, les années de rééducation et son quotidien actuel: «Avant, j'étais arrivé à un haut niveau, maintenant je n'ose même pas penser à ce que je peux faire. Je n'ai plus de vie, je n'ai rien à faire de mes journées, j'ai peur de tout, je sors très peu de chez moi. (...) Mais je n'ai pas l'impression que c'est mon histoire, que j'ai subi tout ça et que je suis encore vivant (...). Je souhaitais entendre les accusés, savoir comment on peut faire subir tout ça à un autre être humain, comment c'est possible.» C'est ensuite son petit frère qui prend la parole. En larmes, il raconte l'importance que Bruno a dans sa vie et l'enfer qu'a vécu sa famille en découvrant son corps martyrisé, plongé dans un coma artificiel. Puis il fait lever les accusés et les interpelle: «on est venu pour avoir des réponses et vous nous aviez dit au début du procès que vous feriez tout pour qu'on sache pourquoi et comment ça s'est passé. (...) Pour nous reconstruire, on a besoin de savoir qui a fait quoi. J'ai un semblant d'histoire, maintenant je veux la vérité.» «Jusqu'à présent, la dimension homophobe de ce déchaînement de violences était niée, maintenant elle est clairement reconnue par deux accusés» Dans la salle, l'émotion est palpable et les accusés craquent. La voix nouée, les yeux rivés au sol, Antoine Soleiman demande la parole. Il revient sur ses déclarations et avoue enfin le caractère homophobe de cette agression: «Quand nous avons fait la connaissance de M. Wiel, nous avons vu qu'il était éméché et homosexuel et on en a profité pour le voler. On l'a pris avec nous, on est arrivé à Vitry et plusieurs facteurs ont provoqué notre frustration, comme le fait qu'il n'avait rien sur lui, et notre réaction inexplicable, inqualifiable». Caroline Mecary, avocate de SOS Homophobie, lui demande alors si l'homosexualité de Bruno Wiel a été un des «facteurs» de ce déchaînement de violences. «On n'est pas homophobe mais oui, c'était un facteur», répond-il avant de poursuivre: «On ne peut pas expliquer la succession des faits (...). On n'avait pas envie de lui faire de mal mais on est tombé dans cette bassesse, on a été lâche, horrible, j'ai l'impression d'être un monstre.» Quelques minutes plus tard, l'avocate lui demande d'avoir «la franchise de dire qu'au moment de l'avalanche de coups, plusieurs ont dit On n'est pas des pédés». Poussé dans ses retranchements, il répond dans un souffle: «Ces propos ont été tenus». Julien Sanchez, qui déclarait juste avant n'avoir «rien contre la sexualité de M. Wiel», mais qui avait évoqué ces insultes dans une précédente déclaration, les confirme à son tour. Un premier moment de vérité qui apparaît comme une petite victoire: «Jusqu'hier, la dimension homophobe de ce déchaînement de violences était niée, maintenant elle est clairement reconnue par deux accusés, explique Caroline Mecary. Bruno Wiel a été battu pour ce qu'il est et non pour quelque chose qu'il a fait.» Mercredi et jeudi seront consacrés aux plaidoiries et au réquisitoire. Le verdict est attendu pour vendredi. |
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