02/08/2011 La conférence de Rome a été l’occasion de relancer les recherches d’un traitement curatif contre le VIH. Françoise Barré-Sinoussi, qui avait co-découvert le virus en 1983, explique à TÊTU pourquoi il faut le faire maintenant. La recherche d'un traitement curatif, avec l'utilisation des traitements comme moyen de prévention, est l'un des points forts de cette conférence avec la publication lundi d'une «déclaration de Rome pour un traitement curatif contre le VIH», et de très nombreuses présentations scientifiques. TÊTU a rencontré Françoise Barré-Sinoussi, prochaine présidente de la Société Internationale sur le sida, qui est à l'initiative de cette alliance scientifique internationale. TÊTU: Pourquoi les antirétroviraux ne permettent pas de guérir du VIH ? Françoise Barré-Sinoussi: Les antirétroviraux (ARV) agissent en bloquant la réplication du virus. Or celui- ci a la particularité de s'installer dans certaines cellules et d'y rester dans un état «dormant». Ces cellules «réservoirs du VIH» sont très rares (un lymphocyte CD4 sur 100 000 à 1 000 000) mais ont le plus souvent une très longue durée de vie. Le problème, c'est qu'elles peuvent se réveiller, et recommencer à redisséminer le virus si on arrête le traitement. C'est ce qui oblige le traitement à vie. Or, pour l'instant, on n'a pas trouvé de méthode pour vider les réservoirs une bonne fois pour toute. La guérison du VIH est un vieux rêve, pourquoi le relancer maintenant? C'est le bon moment sur le plan scientifique. Ces dernières années, on a eu de nombreux résultats dont certains montrent que cet objectif est atteignable. Et si ce champ de recherche est devenu très actif, il n'y a pas encore de stratégie globale. Nos connaissances s'accumulent, notre compréhension de la biologie du virus s'améliore, cela transparait ici à Rome. Mais trouver un traitement curatif qui puisse être utilisé pour tous est un défi d'une incroyable complexité. Pour le surmonter, il faut réunir les meilleurs scientifiques, les plus réputés et les innovants ! Le premier objectif, ce serait l'éradication, l'élimination totale du virus... Oui, c'est l'objectif le plus ambitieux: parvenir à supprimer tous les virus, au plus profond de l'organisme. Ce n'est plus tout à fait un rêve: on sait depuis peu que c'est possible, avec un premier cas de guérison d'un séropositif connu sous le vocable « patient de Berlin ». Cet homme souffrait d'une leucémie que ses médecins «Une guérison fonctionnelle, où les personnes ne prendraient pas de traitement, ne seraient pas malades, auraient un risque infime de transmettre le virus, serait formidable.» ont soigné en 2007 par une greffe de moelle osseuse. Parmi les donneurs possibles, il y avait une personne porteuse d'une mutation génétique extrêmement rare (double delta 32) qui confère une résistance naturelle à l'infection. Les personnes qui en sont porteuses ne peuvent être infectée car leurs cellules ne présentent pas les «serrures» (appelées CCR5) utilisée par le VIH. Toutes les cellules immunitaires du patient ont été remplacées par les cellules non infectables du donneur. Quatre ans plus tard, on ne trouve plus aucune trace de VIH dans son organisme. Mais cette approche de greffe, très lourde et complexe, ne pourra concerner que quelques cas isolés. C'est pourquoi on essaie de trouver d'autres solutions. Ici à Rome, plusieurs pistes ont été discutées, des cocktails de molécules qui pourraient permettre de réactiver les réservoirs. On ne sait pas si ça marchera. Il faudra travailler avec des scientifiques d'autres domaines, des cancérologues, des spécialistes d'autres infections persistantes, comme l'herpès ou les hépatites virales. Il y a d'autres pistes, comme supprimer les CCR5 par thérapie génique [des sortes de ciseaux moléculaires viendraient couper les gènes correspondants], mais il faudra une efficacité quasi absolue pour vraiment éradiquer le virus. C'est pourquoi, on poursuit une seconde voie, celle d'une guérison fonctionnelle... Ca ne vise plus l'élimination du virus, mais son contrôle par le système immunitaire. Là, encore, on a un modèle: les HIV-controllers (moins de 0,3 % de la population) qui ont une charge virale (la quantité de virus dans le sang) indétectable alors qu'ils ne prennent pas antirétroviraux. Notre objectif est de comprendre comment, de s'en inspirer pour élaborer des nouvelles stratégies thérapeutiques, des vaccins par exemple. Une guérison fonctionnelle, où les personnes ne prendraient pas de traitement, ne seraient pas malades, auraient un risque infime de transmettre le virus, serait formidable. Quand verra-t-on des résultats? Nous comptons publier la stratégie globale à la conférence sur le sida de Washington en juillet 2012. Ce sera une véritable feuille de route avec les objectifs scientifiques, l'organisation des recherches et le financement, puisque les budgets de recherches diminuent tant en Europe qu'aux Etats-Unis. Le travail sera de longue haleine. Impossible de prédire quand on verra des résultats, les annonces fracassantes qu'on a connu au sujet du vaccin incitent à la prudence. |
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