10/10/2012 L'homosexualité doit-elle suivre la norme? Parler de mariage, est-ce parler de la nature? Les gays vont-ils rendre les enfants gays? Le mariage pour tous annonce-t-il la fin du monde? Voici la suite des réponses du sociologue… Suite et fin des réponses du sociologue Eric Fassin aux TÊTUnautes. Relire la première partie: «L'opposition au mariage pour tous légitime l'homophobie». De pa-yverdon En tant que sociologue, comment analysez-vous que certains veuillent adhérer à une institution considérée comme obsolète par beaucoup d'hétéros plutôt que de créer, inventer une «nouvelle» forme de famille? Est-ce uniquement pour une question juridique (droits) ou est-ce plus profond? La revendication porte sur le droit au mariage, et non sur le mariage. D’ailleurs, elle a été soutenue par des homosexuels personnellement hostiles au mariage – et par des hétérosexuels, pas davantage concernés à la première personne. Pour beaucoup, c’est une question de principe, en l’occurrence, d’égalité. Cependant, la question est légitime: la stratégie politique fondée sur l’égalité des droits n’incite guère à l’innovation. Au contraire, l'expérience de la marginalisation et de la stigmatisation a pu favoriser l’invention de nouveaux modes de vie. L’anthropologue Kath Weston a ainsi décrit, à l’issue des années 1980, ces familles alternatives, construites en réaction contre l'abandon des malades du sida par leurs familles d’origine: les gays s’inventaient «des familles choisies», composées d’amis et d’amies, d’amants et d’anciens amants… Reste à voir si les homosexuels qui se marient vont se contenter d'imiter la norme hétérosexuelle, ou s’ils vont contribuer à transformer le mariage. Et d’ailleurs, on peut s’interroger: les hétérosexuels n'ont-ils pas déjà changé la nature du mariage? En particulier, le «démariage» en a fait un choix personnel plutôt qu’une obligation sociale. L’invention n’est pas forcément spectaculaire; et l’innovation ne passe pas uniquement par les formes contre-culturelles. Pourquoi les homosexuels seraient-ils préposés à l'invention (et les hétérosexuels au conformisme)? De Huxusko16 Que répondre à ceux (contre la loi) qui affirment que d'être parents et d'élever des enfants est un fait biologique de la nature d'un père et d'une mère; sous-entendu qu'une personne seule ou deux personnes de même sexe ne pouvaient pas élever des enfants? Il ne s’agit pas seulement d’élever des enfants: chacun sait que des couples de même sexe le font déjà, et ne s'en sortent pas plus mal que les autres. Ce dont il est question aujourd'hui, c’est de le reconnaître par la loi, en inscrivant dans la filiation les couples de même sexe. Le droit ne confond nullement le mariage et la filiation: depuis 1972, la différence entre enfants «naturels» (nés hors-mariage) et enfants «légitimes» (nés d'un mariage) a disparu. Le mariage n’est donc pas le fondement de la filiation. Le droit ne confond pas davantage la filiation et la reproduction. Sinon, l’adoption plénière serait impossible. Or, non seulement elle est possible, mais elle est même ouverte, depuis 1966, en plus des couples mariés, aux individus. Bref, c’est le droit qui définit la filiation, et non la biologie. Le mariage et la famille sont des institutions sociales – car (faut-il le préciser?) il n’existe pas d’institutions naturelles! De Tom5404 En sociologie, on dit que le cadre de socialisation primaire (intégration de l’individu par transmission des valeurs et des normes) est celui de la famille, à savoir, dans une famille dite traditionnelle, la mère et le père. Dès lors, qu'en est-il de la socialisation d'un enfant élevé dans une famille homoparentale? Autrement dit, est-il essentiel pour un enfant d'être socialisé dans un environnement dans lequel il trouvera sa place aux côtés de son père et de sa mère? Certes, la socialisation primaire est familiale; mais la famille n’existe pas en dehors de la société. Non seulement la famille est dans la société, mais en retour, la société est dans la famille. Il ne faut donc pas se représenter le roman familial comme un jeu à trois – papa, maman et l’enfant. Comme dit un proverbe africain: «Il faut tout un village pour élever un enfant.» Bref, la différence des sexes s’apprend également avec deux papas, ou deux mamans, parce que ces parents sont porteurs, comme tout le monde, de toute une histoire sociale, qui fait une place aux deux sexes. Tout ne se passe pas comme dans le cabinet d’un psy qui ferait abstraction du monde environnant… Après tout, si les homosexuels naissent d’ordinaire dans des familles hétérosexuelles, malgré le poids des normes, il n’est pas si difficile d’imaginer que les familles homoparentales vont le plus souvent produire des enfants hétérosexuels. Prenons un exemple différent: chacun le sait, il ne suffit pas d’avoir des parents féministes pour échapper aux stéréotypes sexistes. Les enfants reproduisent les valeurs de la société, même quand leurs parents veulent les en protéger – en particulier, en refusant de laisser jouer leurs filles avec des poupées Barbie, et leurs garçons avec des armes. Si nos chers bambins parviennent toujours, malgré nos efforts, à apprendre le sexisme, comment croire que la différence des sexes leur resterait étrangère? Et puis, on peut retourner la question: comment se fait-il qu’on s’inquiète de la socialisation avec deux papas, ou deux mamans, et non avec une mère qui a «fait un enfant toute seule», ou avec un père qui a adopté en tant que célibataire? Pourquoi l'homosexualité continue-t-elle de poser ainsi problème? A-t-on peur que l’hétérosexualité ne vienne pas naturellement aux enfants – autrement dit, ne craint-on pas surtout de découvrir que l’hétérosexualité n’est pas «naturelle» (ni plus, ni moins que l’homosexualité)? De Turan Pourquoi, à votre avis, en France, la question de l'adoption par les gays et de la PMA pour les lesbiennes suscite-t-elle encore plus de résistance que le mariage (cf les sondages, les discours des homophobes déclarés, les réticences de la gauche à ouvrir la PMA à toutes), alors qu'aux USA c'est l'inverse, les sondages montrent que les opposants aux gay rights se focalisent quasi exclusivement sur la question du mariage et se désintéressent du droit à l'adoption et à la PMA? Pourquoi cette obsession française du “droit de l'enfant à avoir un père et une mère” (sic sic sic)? Je m’intéresse de longue date à ces comparaisons transatlantiques. J’ai ainsi proposé l’idée que, dans le débat sur le «mariage homosexuel», la sacralisation porte en France sur la filiation, et aux Etats-Unis sur le mariage lui-même. Parler de sacralisation, c’est expliquer le nœud du «problème»: on sacralise ce qu’on prétend soustraire à la délibération démocratique, à la contestation et au changement, bref, à l’histoire. Pourquoi? A mon sens, la différence entre ces contextes nationaux s’explique pour des raisons… nationales! Je m’explique: ce qui est en jeu, ce sont des modèles de la nation. En effet, famille et nation sont parties liées. Aux États-Unis, je fais l’hypothèse que la sacralisation du mariage renvoie à la question raciale: le «problème noir» y est historiquement construit autour de la «famille noire». L’enjeu, ce sont les naissances hors-mariage, en particulier chez les adolescentes – une réalité et une représentation fortement racialisées. Il faut donc protéger le mariage contre la menace raciale. En revanche, en France, la sacralisation de la filiation est liée à la question de l’immigration: dans le droit, la filiation définit non seulement la famille, mais aussi la nationalité. Biologiser la famille (un père, une mère, comme dans la reproduction), c’est faire écho aux débats sur la nationalité qui accroissent depuis 25 ans le poids du «droit du sang», soit des «Français de souche». À l’inverse, cette naturalisation de la nation est donc menacée par la dénaturalisation de la famille qu’entraîne nécessairement l’égalité des droits en matière de mariage et de filiation. De Zboub0 Quels enseignements peut-on tirer de l'application du mariage homosexuel des pays qui l'ont adopté? Quels changements, si changement il y a, se sont opérés dans ces sociétés et dans quel sens? Une chose au moins est sûre: la fin du monde n’a pas eu lieu! C’est pourquoi la question s'inverse aujourd'hui: beaucoup de bruit pour rien? Et dans ce cas, ce qui menace la politique homosexuelle, ne serait-ce pas plutôt la banalisation? Eric Fassin, sociologue, Paris 8, chercheur à l'IRIS, est notamment l'auteur de: - L'inversion de la question homosexuelle, Amsterdam, 2005 (rééd. augmentée, 2008). Droit conjugal et unions de même sexe. Mariage, partenariat et concubinage dans neuf pays européens, avec Kees Waaldijk, PUF, 2008. - Le sexe politique. Genre et sexualité au miroir transatlantique, éd. EHESS, 2009. - Hommes, femmes : quelle différence ? (avec Véronique Margron), éd. Salvator, 2011. Il a aussi co-dirigé, sur ces thèmes: - Au-delà du pacs: l'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité, dir. Daniel Borrillo, Éric Fassin, Marcela Iacub, PUF, 1999 (deuxième édition : 2001). - Mariages et homosexualités dans le monde. L'arrangement des normes, dir. Virginie Descoutures, Marie Digoix, Éric Fassin et Wilfried Rault, Autrement, 2008. |
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