05/12/2013 Regain de motivation chez les opposant.e.s à l'égalité des droits: le gouvernement a laissé passer le délai pour publier les ordonnances de la loi sur le mariage pour tous. Selon l'article 14 de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage et l'adoption à tous les couples, le gouvernement disposait de six mois à compter de la promulgation pour prendre des ordonnances concernant l'adaptation de certaines dispositions législatives. Étaient visés le remplacement des termes «mari et femme» et «père et mère» par «époux» et «parents» dans différents codes, ainsi que les adaptations nécessaires à l'application de la loi dans les Dom Tom. Or, arrivé au 18 novembre dernier, aucune de ces ordonnances n'a été prise par le gouvernement. Les parlementaires opposé.e.s à l'adoption de la loi Taubira sur le mariage et l'adoption pour tous, mais aussi la «Manif pour tous» n'ont pas manqué de signaler ce manquement du gouvernement et semblent prêt.e.s à s'engouffrer dans cette brèche pour ouvrir à nouveau le débat dans l'hémicycle. HARMONISATION DES CODES En quoi consiste une ordonnance? «Certaines matières sont encadrées par le gouvernement, d'autres par le Parlement, explique Hubert Alcaraz, maître de conférence en droit public à l'Université de Pau. Une ordonnance est un acte qui déroge à cette répartition. Le Parlement donne l'autorisation au gouvernement de légiférer. Le plus souvent, c'est par souci de commodité, de simplification, cela permet de régler des points plus techniques.» Passé le délai des six mois, que se passe-t-il? «L'habilitation donnée par le législateur au gouvernement ne vaut plus, confirme Dominique Rousseau, professeur de droit à l'Université de Paris Panthéon-Sorbonne. La loi relative au mariage pour tous reste valide évidemment et n'a pas à repasser devant le parlement. Il faut seulement que le gouvernement redemande au législateur l'autorisation de prendre les ordonnances.» Dans la loi du 17 mai, ces ordonnances sont détaillées: «Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance les mesures nécessaires pour adapter l'ensemble des dispositions législatives en vigueur, à l'exception de celles du code civil, afin de tirer les conséquences de l'application aux conjoints et parents de même sexe des dispositions applicables aux conjoints et parents de sexe différent.» Le code civil a en effet déjà été modifié par l'article 13 de la loi. Ce sont donc les autres codes qui restent à être adaptés, une quinzaine en tout dont celui de la famille et de l'aide sociale. «À défaut d'une nouvelle loi, le gouvernement semble compter sur le bon sens des fonctionnaires et des juges confrontés à un cas où les termes "père et mère" ou "mari et femme" sont appliqués à un couple homosexuel marié», analyse Samuel Laurent, journaliste au Monde, sur le blog Les Décodeurs. Selon le même blog, le ministère de la Justice aurait fait le choix de laisser à chacun des autres ministères «le soin de procéder à son propre toilettage». L'ARGUMENT DE L'ARTICLE 6-1 Mercredi 4 décembre, l'affaire des ordonnances faisait partie des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines et président du Parti chrétien-démocrate, s'est adressé à la ministre de la Justice Christiane Taubira pour soulever le problème (à 28'50): Les Questions au gouvernement : Séance du... par LCP «Vous aviez six mois pour produire ces ordonnances et venir les faire ratifier auprès du Parlement, a rappelé Jean-Frédéric Poisson. Vous avez saisi le Premier ministre pour alerter le gouvernement sur le fait que tous les ministères devaient produire la matière nécessaire à cette rédaction. Un numéro d'enregistrement a été enregistré au Conseil d’État sur un projet d'ordonnance à la fin du mois de septembre. Et donc vous avez engagé cette mécanique apparemment pour la conduire jusqu'au bout. Puis, plus rien. Aujourd'hui le délai de six mois est passé. Vous n'avez plus les moyens de faire autrement que de revenir devant le Parlement à nouveau modifier les textes par la loi. Elle produit insécurité juridique pour tous ceux qui sont concernés par ce droit. Et nous ne pouvons pas l'accepter. Deuxièmement, elle manifeste un mépris pour la Constitution parlementaire à qui vous avez demandé de se dessaisir de sa capacité à légiférer.» Réponse de la ministre: «Monsieur le député Poisson, puisque vous avez participé au débat jusqu'au dernier jour et je dirais presque jusqu'à la dernière heure, je vous rappelle que l'article 6-1 du code civil qui a été introduit justement dans cette loi par les deux chambres du Parlement, que cet article 6-1 dispose que le mariage et la filiation adoptive entraîne les mêmes effets, droits et obligations que les époux ou parents soient de même sexe ou de sexe différent. Vous savez bien que le titre VII du code civil n'est pas concerné, et que la disposition que vous évoquez est une disposition qui a été introduite par l'Assemblée nationale, puisque le texte du gouvernement avait énoncé la totalité des dispositions à modifier. Tirant conséquence de ces dispositions introduites par cette assemblée, nous avons pris par prudence la précaution de demander au Parlement d'autoriser le gouvernement à légiférer. «Nous avons procédé à une expertise, le code civil n'est pas concerné, ce sont les autres codes qui étaient concernés. Cette expertise a fait valoir que, compte tenu de la rédaction de l'article 6-1du code civil, cette rédaction rend inutile des dispositions techniques à l'intérieur de ces autres codes. Par conséquent nous n'allons pas prendre des dispositions techniques qui n'ont pas lieu d'être, cette disposition 6-1 du code civil entraîne les mêmes effets, les mêmes droits et les mêmes obligations, que les parents soient de même sexe ou de sexe différent.» UN DÉBAT POLITIQUE ET NON JURIDIQUE Existe-t-il donc un risque réel que les opposant.e.s profitent de cette erreur du gouvernement? Selon Hubert Alcaraz, qui juge les arguments de Jean-Frédéric Poisson «peu convaincants», c'est fort peu probable: «Il parle de mépris au Parlement, mais l'article 38 de la Constitution garantit l'encadrement strict des recours aux ordonnances. Il n'y a pas eu d'abus. Il faut savoir que les ordonnances font toujours débat, le Parlement se sent dépouillé de son pouvoir. C'est de bonne guerre, l'opposition critique toujours la majorité dans ces cas-là.» Autre argument, l'insécurité juridique, qui, paradoxalement, avait peu ému la droite lorsqu'il s'agissait des familles homoparentales: «Parler d'insécurité juridique, cela revient à dire que la loi n'est pas applicable en l'état. Ce qui est faux. On voit bien que des couples ont pu se marier et que des couples mariés ont pu commencé une démarche d'adoption. Rien n'a été handicapé.» Pour Hubert Alcaraz, les explications de Christiane Taubira sont aussi valables: «L'article 6-1, les opposant.e.s au mariage l'ont utilisé comme argument lorsqu'ils et elles avaient saisi le Conseil constitutionnel… et ça n'avait pas marché (voir les points 76 à 82). Cet article les agace depuis le début. Le Conseil constitutionnel a décidé que l'article n'était pas inintelligible et qu'il rend superflu d'autres modifications de vocabulaire. Il aurait été sans doute plus esthétique et plus logique d'apporter les modifications nécessaires aux quinze codes concernés, comme l'ordonnance le prévoyait. Mais aujourd'hui, le gouvernement n'est pas contraint de le faire juridiquement. Le choix est donc purement politique.» «MANIF POUR TOUS» ET PARLEMENTAIRES PRÊT.E.S À REVENIR AU DÉBAT Reste que du côté des opposant.e.s à la loi, cette nouvelle sonne comme la preuve de l'amateurisme du gouvernement et l'occasion de renouveler un peu plus encore leur opposition à ce «bouleversement de civilisation»: «Le gouvernement aurait-il enfin pris conscience du scandale de cette loi qui conduit à nier l’existence, incontournable pour tout être humain, d’un "père" et d’une "mère"? interroge la «Manif pour tous». Et ceci au profit d’un lobby ultra-minoritaire et au détriment de l'intérêt général. Ces ordonnances, tout comme la loi, seraient évidemment contraires à la réalité de l’humanité et contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.» Ludovine de La Rochère a par ailleurs adressé une lettre à Jean-Marc Ayrault et au président du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré, exigeant des explications du gouvernement. Par ailleurs, 24 sénateurs/trices, dont Bruno Retailleau, ont fait connaître leur volonté de repartir dans un débat politique autour des dispositions prévues dans la loi Taubira: «Qu’il s’agisse d’une manœuvre politique ou d’une erreur matérielle, le résultat est le même: l’habilitation donnée par le Parlement est caduque, et le Gouvernement est dans l’obligation de repasser devant les députés et les sénateurs.» Ils et elles exigent désormais «que le Gouvernement se conforme à la loi, en demandant une nouvelle habilitation au Parlement». Bruno Retailleau accuse aussi le gouvernement de François Hollande d'avoir «trompé le Conseil constitutionnel»: d'après ces parlementaires, la validation de la loi par le Conseil constitutionnel aurait été motivée principalement par cet engagement du gouvernement à légiférer sur ces ordonnances. |
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