17/04/2009 «C'est la première fois que je vous écris. Une lettre pour vous tous. Pour toi, ma mère M'Barka. Pour vous mes sœurs, mes six sœurs. Et pour vous mes deux frères. Je vous écris par mon cœur et ma peau ces lignes qui sortent enfin de moi et qui me viennent aujourd'hui dans l'urgence.» Voici comment le jeune écrivain marocain Abdellah Taïa (L'Armée du salut, Une mélancolie arabe, en photo ci-contre) commence sa tribune, intitulée «L'homosexualité expliquée à ma mère», qu'il a publiée début avril dans Tel Quel, un magazine marocain progressiste. Particulièrement émouvante, cette lettre publique joue la carte de la franchise: «Au-delà de mon homosexualité, que je revendique et assume, je sais que ce qui vous surprend, vous fait peur, c'est que je vous échappe: je suis le même, toujours maigre, toujours cet éternel visage d'enfant; je ne suis plus le même. Vous ne me reconnaissez plus et vous vous dites: "Mais d'où lui viennent ces idées bizarres? D'où lui vient cette audace? On ne l'a pas éduqué comme ça... Non seulement il parle publiquement de sexualité, non, non, cela ne lui suffit pas, il parle d'homosexualité, de politique, de liberté… Pour qui se prend-il?» À la lecture de ces mots, on ne peut s'empêcher de penser à la longue lettre que l'écrivain et militant français Guy Hocquenghem avait publiée dans Le Nouvel Observateur du 10 janvier 1972. Il y annonçait publiquement qu'il était gay. Il fut ainsi le premier homosexuel à faire dans la presse française son coming out… C'était il y a 37 ans. «Quelque chose a commencé à bouger dans ce pays…» Aujourd'hui, le Maroc semble bouger sur la question. C'est en tout cas la conviction d'Abdellah: «Je ne suis pas le seul au Maroc, ma mère. Quelque chose a commencé dans ce pays. Une réelle rupture par rapport aux générations précédentes, qui soit ont abdiqué, soit ont été récupérées. Nous, c'est le 21e siècle.» Mais si la société marocaine bouge, c'est encore loin d'être le cas du côté des institutions du pays: «On essaie de nous intimider. De nous ramener à un soi-disant ordre moral, nous faire revenir à nos soi-disant valeurs fondamentales. Lesquelles d'abord? Et qui décide que c'est de ces valeurs-là que le Marocain d'aujourd'hui a besoin?», se demande le jeune écrivain. «Des voix s'élèvent à travers des médias» En effet, en mars dernier, les dignitaires religieux avaient protesté contre l'homosexualité. Et le ministère de l'Intérieur avait également expliqué publiquement qu'il comptait protéger «les valeurs morales de la société marocaine». Le communiqué officiel précisait également: «Il a été constaté ces derniers temps que des voix s'élèvent, à travers des médias, pour tenter de faire l'apologie de certains comportements ignobles, qui constituent une provocation pour l'opinion publique nationale.» Car, au Maroc, l'article 489 du Code pénal condamne de six mois à trois ans de prison, et à une amende, toute personne ayant commis un acte homosexuel! En fait, à travers ces réactions officielles, les autorités entendaient donc bien condamner la multiplication récente d'articles dans la presse prônant une plus grande tolérance à l'égard de l'homosexualité au Maroc. Notamment le magazine Maroc Hebdo International qui avait consacré, début mars, un dossier entier à la question des droits homosexuels intitulé «Faut-il légaliser les homos?», et en avait profité pour interviewer longuement Samir Bergachi (en couverture du magazine, ci-dessous), coordinateur général de l'association Kifkif de défense des droits des homosexuels. «Au Maroc, nous sommes loin du pacs français ou du mariage gay belge» «Nous sentons qu'il y a un climat propice en ce moment au Maroc pour le débat sur l'homosexualité, les droits des minorités sexuelles et les droits de l'Homme en général, analysait alors le jeune militant, Nous voulons aussi profiter de la montée au créneau des homosexuels dans d'autres pays arabo-musulmans, comme l'Algérie (association Amal), la Tunisie, l'Égypte et même l'Iran, pour faire avancer la cause des minorités sexuelles au Maroc et lancer un message historique pour leur droit à une existence libre.» Samir Bergachi restait pourtant prudent: «Le combat des minorités sexuelles en est encore à ses balbutiements au Maroc, reconnaissait-il, Pour le moment, ce que nous voulons, c'est dépénaliser l'homosexualité. Et sensibiliser la société à la souffrance et à la discrimination dont pâtissent les homosexuels au Maroc. (...) Nous sommes loin du pacs français ou du mariage gay belge. Mais le Maroc est en pleine transition démocratique, et nous voulons en profiter pour lancer un message politique sur la nécessaire amélioration de la condition homosexuelle dans notre pays. C'est pour cela qu'à Kifkif, nous demeurons optimistes, malgré tout.» Et prudents… |
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