04/05/2009 Par Zineb Dryef «Crois-moi, ma mère, je n'ai aucune envie de te salir, de t'abaisser, de "t'inonder de honte". Mais la vérité, ma vérité, j'ai besoin de te la révéler. Te communiquer ce qui change en moi», écrit Abdellah Taïa à sa mère. Dans une lettre ouverte publiée par l'hebdomadaire francophone Tel Quel, l'écrivain marocain de 35 ans redit son homosexualité, déjà révélée dans ses romans. Entretien. Ce n'est sans doute pas le compliment qu'attend un écrivain -mais en attend-il ? : Abdellah Taïa écrit comme il parle. Doucement, fermement, furieusement. Des mots qui s'emballent puis interrogent, timides : «Je ne vous ennuie pas ? Je ne m'arrête pas de parler.» Il ne s'arrête plus en effet lorsque le gagne le besoin d'exprimer ce qui dans son pays ne se dit pas, ne s'écrit pas. L'affirmation de son identité, marocain et homosexuel, Abdellah Taïa l'expérimente depuis plusieurs années. Dans ses romans d'abord où il a raconté un Maroc populaire et écrasant qui est le sien. Et aujourd'hui, dans cette lettre ouverte à sa mère. Ce besoin, dit-il, s'est imposé : «Samir Barghachi, un jeune marocain, a fondé l'organisation « Kif Kif » qui défend les droits des homosexuels. Ce garçon a été traîné dans la boue par une certaine presse. Il n'a que 22 ans. Je me suis dit qu'il fallait voler à son secours. Je ne pouvais pas laisser cette actualité être exploitée par la seule presse de caniveau. Le ministre de l'Intérieur a également fait publier un communiqué pour affirmer la protection du citoyen marocain et de sa morale par l'Etat. Dans sa ligne de mire, l'homosexualité... C'est un signe de recul très fort qui invalide les efforts des jeunes dans le sens des libertés et droits individuels. Pour toutes ces raisons, je voulais montrer qu'il ne faut pas se laisser intimider. Je dis à maman qu'ailleurs, le monde change alors qu'au Maroc, on tente de nous faire peur. J'aurais pu écrire une lettre ouverte à un ministre mais je n'aurais pas eu de réponse. Il me fallait écrire à quelqu'un qui me reconnaisse.» Au Maroc, l'homosexualité est passible de prison -jusqu'à trois ans. Ces dernières années, plusieurs arrestations d'homosexuels ont eu lieu. Le sujet est tellement tabou dans le monde arabe qu'il n'y a pas de mot pour désigner l'homosexualité. L'un des combats de l'écrivain est justement de nommer sans stigmatiser : Abdellah Taïa: «il y a une nécessité intérieure de ne plus vivre l'hypocrisie qui mine le Maroc.» «En arabe, "zamel" est une insulte. Au Liban, un mot a été inventé ces dernières années. "Mathali". Il vient de "mitl" qui veut dire "comme". Celui qui aime celui qui est comme lui. C'est un mot neutre qui n'exprime pas de jugement. Celui qu'il faut utiliser.» Son homosexualité, Abdallah Taïa l'a déjà abordée avec sa famille. Il se souvient de ce jour où sa mère lui a téléphoné après avoir découvert une interview de lui dans un journal arabophone : «C'est un collègue de ma sœur qui avait laissé ce journal sur son bureau. Ouvert à la bonne page. Ma mère m'a demandé : "Qu'est ce que tu as fait ? Nous, on n'est pas comme ça." Je lui ai dit que je ne parlais pas uniquement de moi mais de l'ensemble de la société marocaine. Elle m'a dit : «Mais de quoi tu parles ? On n'est pas la société marocaine».» Cette conversation entre une mère et son fils est devenue le symbole du travail de l'écrivain. Il n'écrit pas pour défendre sa cause, celle des homosexuels, mais pour plus encore. Dans un pays où les non-dits sont nombreux, où l'on ne parle pas de ses sentiments en famille, où l'on préfère taire les choses que les voir clamées, Abdallah Taïa parle pour une jeunesse qui étouffe. Il dit « rêver » d'un autre Maroc, pas l'actuel, celui des dépliants touristiques, chameaux et thé à la menthe pour seul patrimoine. Lui rêve d'un Maroc qui pense, qui agit, qui grandit, qui renoue avec la culture : «Il y a une nécessité intérieure de ne plus vivre l'hypocrisie qui mine le Maroc. Les réactions que je reçois vont dans ce sens là. L'histoire des sociétés passe par des minorités qui forcent les sociétés à aller de l'avant. C'est ce que j'essaye de dire dans ma lettre. Le combat est plus large que celui de la défense des homosexuels. Il y a des élans dans ce pays qu'il ne faut pas casser, une fougue légitime de la jeunesse.» Lorsqu'Abdellah Taïa cite Marcel Proust ou Abou Nouwas, lorsqu'il évoque les voyages en Union soviétique et au Congo d'André Gide, c'est pour insister sur l'importance de la littérature. Né à Hay Salam, quartier populaire de Salé, ce sont ces maîtres-là qui l'ont ouvert au monde. Son père, employé de la Bibliothèque générale de Rabat, apportait des livres à la maison. Depuis le départ d'Abdellah Taïa -il vit désormais à Paris- il n'y a plus de livres dans son ancienne maison : «Il n'y a plus que la télévision. Allumée sans cesse. Je me suis dit : "Ils ne lisent plus" et j'ai alors senti le besoin de dire quelque chose à ma famille. Ils ont lu mes livres, savent que j'écris mais ne considèrent pas cela comme une réussite. Ça m'a confirmé dans mon statut de type un peu fou. Voir cette maison sans livres m'a frappé, cette absence dit beaucoup de choses. La lettre est aussi née de cela. Passer à l'écriture, c'est passer à l'acte, je ne peux pas reculer, renoncer à cette liberté ou la refuser aux autres Marocains. La littérature, c'est aussi cela, un dialogue avec la réalité. Cette lettre est un acte politique, comme mes précédents livres. Ma revendication, c'est celle d'un rêve marocain. Plus de libertés individuelles.» Son combat pour un Maroc plus libre, Abdallah Taïa le sait difficile mais il tempère, rappelle que le Maroc est en avance par rapport aux autres pays arabes, que des journalistes défendent le droit des homosexuels, que des débats télévisés sont parfois consacrés à cette question. Des initiatives qui vont dans le bon sens mais qu'il ne faut pas brimer. Son prochain projet ? Un ouvrage collectif, signé par plusieurs personnalités, qui n'ont reçu qu'une consigne : écrire une lettre adressée à un jeune Marocain. Des mots pour interpeller et faire espérer. |
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