26/02/2002 La Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) n'a pas condamné la France dans l'affaire qui l'opposait à Philippe Fretté. Par 4 voix contre 3, les juges de la CEDH ont estimé qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (interdiction de la discrimination) combiné avec l'article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). Ils ont en revanche admis, à l'unanimité, qu'il y avait eu violation de l'article 6 (droit à un procès équitable). Rappel des faits: En 1993, la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (DASE) rejetait la demande d'agrément préalable à l'adoption de Philippe Fretté, un enseignant de 39 ans, au motif de son homosexualité. Le tribunal administratif de Paris annula le rejet en 1995 mais sur recours du département de Paris, le Conseil d'Etat annula ce jugement et rejeta la demande de Philippe Fretté. En 1997, Philippe Fretté déposait un recours devant la CEDH pour "discrimination fondée sur l'orientation sexuelle", invoquant l'article 14, combiné à l'article 8, de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ainsi que l'article 6§1, parce qu'il n'avait pas été convoqué à l'audience tenue par le Conseil d'Etat. Dans son arrêt, la CEDH explique que "les décisions de rejet de la demande d'agrément poursuivaient un but légitime: protéger la santé et les droits des enfants" (sic). Elle estime aussi qu'"étant en prise directe et permanente avec les forces vitales de leur pays, les autorités nationales sont en principe mieux placées qu'une juridiction internationale pour évaluer les sensibilités et le contexte locaux". "Lorsque j’ai fait ma demande d’agrément il y a maintenant dix ans, je ne me doutais pas que je serai entraîné dans une telle aventure," raconte Philippe Fretté, qui a trois mois pour demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour. "L’attente fut très longue, avec des périodes d’espoir, de détermination, mais aussi d’impatience et de découragement. Aurai-je un jour un enfant ? Je n’en sais rien ! Tout ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui de nombreuses personnes candidates à l’agrément devront encore être très prudentes. Et quelque part, la décision de la Cour de Strasbourg, même si les juges sont divisés (quatre contre trois), cautionne une certaine homophobie et laisse la porte à nouveau ouverte à bien des abus". La première réaction à cet arrêt a été, évidemment, celle de l'Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL), pour qui la décision de la CEDH "risque d'encourager la pratique discriminatoire qui s'est développée en France, (…) pratique qui consistait à refuser les agréments aux candidats se présentant ouvertement comme homosexuel(le)s ou bien déclarant leur homosexualité au cours de l'enquête". L'association insiste sur le fait que "si la Cour n'est pas prête à imposer aux 43 états-membres du Conseil de l'Europe d'éviter les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle en matière d'adoption par les célibataires, cela ne signifie pas pour autant que la France ne devrait pas modifier sa pratique discriminatoire volontairement". Le Collectif Pacs, etc, quant à lui, déplore la décision des juges de la CEDH mais "y voit des raisons d'espérer. Cette décision, en maintenant une jurisprudence et un "usage" fondés sur des bases pour le moins contestables, donne clairement l'occasion de relancer à nouveau sur le terrain politique le débat de l'adoption sans discrimination et dans l'intérêt de l'enfant". Pour l'avocate Caroline Mécary, cette "position frileuse" de la CEDH n'est pas "extrêmement étonnante, puisque les magistrats ont pour politique d'être assez consensuels". Il s'agit d'une garantie des droits a minima. En effet, explique-t-elle, si la Cour avait condamné la France, les 43 états-membres du Conseil de l'Europe auraient dû s'aligner sur cette décision et tous n'en sont pas encore capables. La Cour essaie donc de contenter tout le monde. Par ailleurs, fait remarquer Caroline Mécary, notant que les magistrats qui ont soutenu la France sont originaires de pays de culture "très traditionnelle", très axée sur la famille (République tchèque, Albanie, Lituanie), "une décision de la CEDH a de l'importance, certes, mais elle peut évoluer". Nigel Warner, de la branche européenne de l'ILGA, est d'accord avec elle. Il rappelle que les gays et les lesbiennes ont gagné trois batailles extraordinaires ces dernières années (l'affaire Sutherland en 1997 sur l'âge de consentement, la condamnation de la politique discriminatoire de l'armée du Royaume-Uni en 1999 et la condamnation du Portugal en matière de droit de garde en 2000). "La difficulté avec les cours des Droits de l'Homme, et notamment avec celle-ci, c'est qu'elles ont besoin du soutien des différents pays pour continuer à exister", explique-t-il. "Lorsqu'il n'y a pas de consensus clair sur un sujet, comme ici dans le cas de l'adoption par des homosexuels, célibataires ou en couple, la décision est plutôt prise en fonction de critères politiques". La Cour européenne des Droits de l'Homme se défile, oubliant que le Droit international est aussi là pour palier le manque des Droits nationaux. L'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme semble avant tout relever de l'exploit diplomatique. En reconnaissant le déni de justice sur la forme mais en se défaussant sur le Droit national et "l'opinion publique" quant au fond, la Cour témoigne qu'à l'évidence, il n'était pas souhaitable que la France soit désavouée sur un sujet "sensible" en pleine campagne présidentielle. La Cour se réfère plusieurs fois à l'importance de l'opinion publique, argument répandu depuis quelques temps pour justifier l'inaction. Si François Mitterrand avait attendu que les Français soient prêts, la peine de mort existerait toujours dans notre beau pays. |
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