26/01/2011 INTERVIEW. Après 23 ans de dictature, la révolution du Jasmin et le départ du président Ben Ali laissent espérer un vent de liberté en Tunisie. Et pour les LGBT? Le réalisateur tunisien Mehdi Ben Attia donne son point de vue. Comme dans la plupart des pays arabes, l'homosexualité est interdite en Tunisie. Depuis 1913, le code pénal tunisien sanctionne «la sodomie entre adultes consentants» de trois ans de prison, même si dans les faits, la communauté homosexuelle jouit d'une liberté relative. La révolution va-t-elle améliorer les choses? TÊTU a demandé au réalisateur tunisien Mehdi Ben Attia si, selon lui, ce vent de liberté profitera aussi aux gays et lesbiennes tunisiens. Entretien. TÊTU: Dans votre film, Le Fil sorti en mai 2010, vous avez voulu montrer une homosexualité heureuse. Considérez-vous que l'homosexualité soit mieux acceptée en Tunisie que dans d'autres pays arabes ou musulmans? Mehdi Ben Attia: Oui, c'est un fait social relativement plus visible et mieux accepté en Tunisie. Pourtant, il y a des textes législatifs. Ils sont peu utilisés mais ils existent. Et c'est surtout la société qui est conservatrice. Depuis 7 ou 8 ans, j'ai l'impression que l'on voit apparaitre une scène homosexuelle. Il y a des poches de tolérances, d'abord dans les milieux artistiques et culturels et dans quelques villes. Mais pour le reste de la société, ce sont des pratiques très réprouvées. Mais alors, qu'est-ce qui est toléré? Qu'est-ce qui est réprouvé? Le problème en Tunisie, comme au Maroc, c'est la prise de parole. En quelque sorte on nous dit «Faites ce que vous voulez, mais foutez-nous la paix!» Le vrai interdit, ça n'est pas d'avoir des pratiques homosexuelles, c'est de se dire homo. Ça n'est tellement pas dans les mœurs qu'ils ne voient pas les gays qu'ils ont sous le nez. Deux hommes qui vivent ensemble, ça ne choque pas. Mais ils ne doivent rien revendiquer. Se taire! C'est assez étrange. Pensez-vous qu'à terme , la révolution de Jasmin puisse mener à davantage de droits pour les homosexuels tunisiens? Très franchement, je veux être très prudent. Je n'aurais jamais cru assister aux évènements actuels, que le peuple tunisien se soulève. Et si cela devait arriver, j'aurais pensé que ce serait avec les islamistes. Donc je fais profil bas. Néanmoins, aujourd'hui, je suis optimiste. Dans les manifestations, le principal slogan n'était pas «Allah Akbar!» ou «Du pain!» mais «Emploi, liberté et dignité nationale!» C'est très politique. Il ne faut pas se raconter d'histoires, les droits des gays, personne n'en parle. Mais il y a une forte demande de liberté, de respirer, contre la censure. Un climat favorable. Pour exemple, mon film a été interdit en Tunisie. Mais j'ai bon espoir qu'il soit bientôt diffusé. Ce serait peut-être un bon indice du changement. Vous l'avez dit, une partie de la société est très conservatrice. Il y a aussi un parti islamiste qui devrait faire son retour sur la scène politique. Est-ce qu'il n'y a pas aussi un risque de régression ? Durant toute ma vie, la Tunisie a été un pays sans libertés. La raison avancée était la menace islamiste. On s'est rendu compte qu'elle avait bon dos. Donc non! J'ai horreur de cette idéologie, mais ils ne me font pas peur. La masse des Tunisiens est plutôt homophobe, soit de manière volontaire, soit inconsciemment, mais on commence à voir une avant-garde favorable aux droits des gays et plutôt occidentalisée. Il ne faut pas oublier qu'un dixième des Tunisiens vit en Europe. Là où l'on prend des habitudes de liberté que l'on rapporte dans ses valises quand on rentre au pays. On est à un moment historique ou l'on peut emprunter une voie ou l'autre. Les revendications de liberté sont fortes à Tunis. On peut imaginer que les droits des gays suivent le mouvement dans une movida tunisienne. Mais il peut aussi y avoir une méfiance face à l'instabilité avec la volonté de retrouver un homme fort. Dans tous les cas on ne reviendra jamais à un régime comme celui de Ben Ali. Toute la peur accumulée ces dernières années s'est transformée en courage. Donc je suis prudemment optimiste. |
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