30/04/2002 Lyon, 28 avril 2002, 11h30. "C'est une honte, un scandale, c'est lamentable!" Hervé Morel, président de l'association Aris, est rouge de colère. "Nous allons demander des explications au préfet". A Lyon, les associations homosexuelles sont indignées, elles ont été tout simplement exclues de la cérémonie officielle organisée place Bellecour à l'occasion de la journée nationale de la Déportation. Tout avait pourtant bien commencé. La Musique de la région Terre Sud Est interprète le "Chant du Marais". A Lyon, capitale de la résistance, la population est venue plus nombreuse que d'habitude, inquiète face au réveil des vieux démons de l'extrême droite. Les porte-drapeaux des associations d'anciens combattants, résistants et déportés sont émus à la lecture des noms des sinistres camps de concentration. Pour conclure, vers midi, les personnalités civiles et militaires déposent leurs gerbes à la mémoire des déportés devant le Veilleur de Pierre. Avant que la cérémonie ne prenne fin, les associations homosexuelles, restées derrière les barrières avec le public, tentent de s'avancer vers le monument. Mais les forces de l'ordre font barrage. Les militants gay et lesbiens, plus d'une centaine, triangle rose sur la poitrine, devront attendre que les officiels aient quitté les lieux, que la foule soit partie et que le drapeau tricolore soit retiré avant de pouvoir déposer leurs deux gerbes à la mémoire des déportés homosexuels. Après une minute de silence , Hervé Morel prend la parole pour dénoncer cette mise à l'écart honteuse. William Fize, président de Moove, a les larmes aux yeux. Sur la gerbe il a écrit de sa main "Trop jeunes pour y être, pas assez naïfs pour ne pas savoir". Jean Yves Sécheresse, président du groupe socialiste au conseil municipal, va demander au maire d'intervenir auprès du préfet. Cet incident incite les homosexuels à se montrer de plus en plus vigilants. Malgré le climat politique depuis une semaine, une dizaine seulement de gays et de lesbiennes est venue rendre hommage aux Triangles Roses à Nantes. Dans son discours en écho à la situation politique actuelle, Michel Fulcrand, le délégué du Mémorial de la Déportation Homosexuelle et membre du Centre Lesbien et Gay de Nantes, a rappelé le sort fait aux homosexuels sous les régimes fascistes. Dans les médias locaux, les gays ont eu plus de succès que les années passées. France Bleu Loire Océan a diffusé une interview de Michel Fulcrand le soir même. Lundi, le quotidien local Presse-Océan a consacré un tiers de son long article aux Triangles Roses. Le concurrent (et très lu) Ouest-France s’est contenté de trois lignes en rappelant le nombre de déportés gay et la reconnaissance de cette réalité par le gouvernement. Michel Fulcrand en a profité pour s’entretenir avec le député-maire de Nantes (resté à l’extérieur du cimetière lors du dépôt de gerbe en hommage aux Triangles Roses) et lui a soumis l’idée d’un vote du Parlement reconnaissant la déportation des homosexuels. Jean-Marc Ayrault ne s’est pas opposé à cette idée. "C'est tout de même très frustrant que de devoir déposer notre gerbe après que la cérémonie est déclarée "terminée"". Voilà un témoignage recueilli par une lesbienne présente à la cérémonie à la mémoire des déportés qui s'est tenue dimanche 28 avril à Rouen. Probablement en raison des enjeux "vitaux" de l'élection du 5 mai, l'affluence était plus nombreuse que les autres années. Un incident a eu lieu après le départ des autorités, lors du dépôt de la gerbe en forme de triangle rose par les associations homo normandes. Un ancien déporté a entamé une "franche" (mais non violente) discussion avec les responsables de l'asso homo rouennaise Comme ça ! " Ce que je refuse, c'est le ruban où vous avez fait inscrire " Aux déportés homosexuels " ! Je n'ai pas connu de déportés homosexuels ici et de toute façon, je suis contre les distinctions entre les déportés. " Ce à quoi Josselin Cros, président de l'association, a répondu que "les homos souhaitaient depuis longtemps "intégrer" le groupe des déportés. Cette demande nous a toujours été refusée." Après enquête, il semble en fait que l'homophobie des déportés rouennais soit due à des viols qui ont été commis dans les camps proches de Rouen par des gardiens nazis sur des prisonniers. "L'incompréhension est totale", ont finalement regretté les responsables associatifs locaux. "La mémoire appartient aux associations d'anciens déportés surtout quand ils la travestissent". Réunis sous une même banderolle, douze membres des associations Couleurs Gaies et Aides 54 ont assisté dimanche à Metz, en marge et en silence, à la cérémonie au monument aux morts. Vêtus de noir, triangle rose sur les tee-shirts, ils ont dû attendre la fin de la commémoration et le départ des officiels avant de pouvoir déposer leur gerbe, et ceci sans incident. Moment fort de la matinée, un ancien déporté a souhaité témoigner devant la caméra de Couleurs Gaies : l'homme aurait parlé de la chasse aux sorcières que subissaient les homos dans l'enceinte même des camps de concentration. A Strasbourg, la commémoration officielle terminée, l'Alsacien Pierre Seel a enfin pu s'approcher du monument aux morts, ce dimanche matin. Accompagné et soutenu par une soixantaine de personnes, c'est non sans émotion que le septuagénaire, victime du nazisme alors qu'il n'avait que 17 ans, s'est recueilli devant la gerbe déposée après la cérémonie par le collectif des associations homosexuelles de Strasbourg. Il a notamment discuté avec le maire Fabienne Keller qui l'a remercié "d'avoir traversé la France pour témoigner aujourd'hui". Seul incident, un ancien déporté a traité publiquement Pierre Seel de "mythomane". Par ailleurs, l'association Menachem Taffel, du nom d'un déporté exécuté en 1943 au camp du Struthof (Bas-Rhin) et livré aux mains du professeur Hirt à l'Institut d'anatomie de Strasbourg, s'est réunie dimanche matin dans l'enceinte de l'hôpital civil de Strasbourg. Particulièrement émouvante, cette cérémonie non officielle, en marge de la journée du souvenir de la déportation, a réuni tout juste vingt personnes, en l'absence de représentants de la ville. L'occasion pour le docteur Georges Federmann, fondateur de l'association, de rappeler que "bon nombre de communautés ont été stigmatisées par les nazis, qu'elles soient juives, tziganes, témoins de Jéhovah, homosexuelles, etc.". Pour la première fois dans le Gard, dimanche, la cérémonie de la journée de la déportation a été émaillée de la présence du centre gay et lesbien (CGL) représentant la communauté homosexuelle de Nîmes. C'est par la voix du président du CGL qu'un message stigmatisant la "folie meurtrière de l'intolérance" a été lu après qu'un dépôt de gerbe (un triangle rose composé d'oeillets) a été réalisé. Les Flamands roses étaient seuls présents et visibles dimanche matin devant le monument aux déportés à Lille. Pour la cérémonie, pas de triangles roses sur la poitrine autorisés. Seul le pin’s de l’association était admis, un beffroi sur fond de… triangle rose. Ceux qui n’avaient pas l’épinglette se tenaient par la main et par couple. Mais cette fois-ci tout le monde a été admis. Les années précédentes, seule une délégation réduite pouvait se tenir sur le parterre, les autres étaient tenus à l’écart par les forces de l’ordre. A la fin de la cérémonie, une gerbe où chacun était invité à piquer soit une fleur soit un triangle, a pu être déposée. Martine Aubry, maire de Lille, et d’autres personnalités ont d’ailleurs participé à la confection de cette hommage collectif. Dimanche 28 avril, le collectif Lesbian and Gay Pride rennais avait appelé à un rassemblement autour du mémorial de la déportation. Dans le contexte particulier de cette année, une quarantaine de gay et de lesbiennes se sont retrouvés dimanche matin devant le cinéma le colombier. Parmi eux, Pierrette âgée de 67 ans, grand-mère et arrière-grand-mère. Pierrette est venue par solidarité, son fils est homosexuel. "Je ne veux pas voir mon fils finir dans les cheminées de Le Pen," nous confie-t’elle, visiblement émue. Arrivé au mémorial, le groupe a été immédiatement mis à l’écart par des forces de l’ordre correctes mais fermes. Quelques instants avant la cérémonie, le représentant départemental des déportés, Guy Faisant s’est entretenu avec les gays et les lesbiennes. Il acceptait leur présence lors de la cérémonie à la seule condition qu’ils enlèvent tout signe distinctif. Devant leur refus de retirer les triangles roses, ils n’ont pas été autorisés à participer au recueillement collectif. Parmi les autorités présentes, le maire de Rennes, les parlementaires et les représentants de tous les partis politiques, aucun n’a souhaité s’exprimer. Seul Eric Berroche, conseiller municipal communiste, a regretté cette situation. Interrogé Têtu, Claude Guéant, préfet de région et d’Ille-et-Vilaine, très tendu, affirmait n’avoir reçu aucune consigne particulière de la part du ministère des anciens combattants. Il s’en remettait au comité d’organisation et ajoutait, visiblement agacé: "Je n’ai reçu aucun signe des autorités municipales rennaises". A l’issue de la cérémonie officielle, les gays et les lesbiennes ont pu déposer une gerbe et prononcer un discours en présence de la presse et des télévisions locales France 3, TV Rennes et M6. Une dizaine d’anciens déportés, essentiellement des femmes, ont tenu à rester s’associer à cet hommage. A Marseille, mobilisation relativement modeste des gays et des lesbiennes pour la cérémonie du souvenir de la déportation : une douzaine de personnes issues de Mémoire des sexualités, de la Lesbian and Gay Pride Marseille (triangles roses) et du Centre évolutif Lilith (triangles roses et noirs). Le père Vassiliev, au cours de la cérémonie officielle, a inclus les homosexuels dans sa prière pour les déportés. Comme convenu, les associations ont pu déposer une gerbe après la commémoration. Sans micro et au milieu de quelques discussions indifférentes, Christian de Leusse, président de Mémoire des sexualités, a prononcé quelques mots sur les récentes recherches effectuées sur la déportation des homosexuels. Notons une présence plus importante que les années précédentes de personnes à cette cérémonie "de deuxième ordre": parmi elles, des anciens déportés, des lycéens, des élus comme Michel Bourgat, adjoint au maire de Marseille, Annick Boët, conseillère municipale (PC), Lisette Narducci, maire des 2e et 3e arrondissements (PS), Jean-Marc Coppola, vice-président du conseil régional (PC), Marie-Arlette Carlotti, députée européenne et conseillère générale des Bouches-du-Rhône (PS), Robert Bret, sénateur (PC), ainsi qu’Alain Caraplis, chef du protocole de la ville de Marseille. Par des mots très touchants, Victor Algazi, ancien déporté et secrétaire de l’Amicale d’Auschwitz, a exprimé son soutien aux représentants des associations gay et lesbiennes, en rapprochant la honte et la difficulté à témoigner que chacun a connues après son retour des camps et le silence qui se brise peu à peu autour de la déportation homosexuelle. A Toulouse, à l'appel de l'association Gelem, une cinquantaine de personnes dont d'autres associations, Jules & Julie, le Bagdam Espace, la Maison des homosexualités, la Maison des homosocialités et Act Up, ont assisté à la cérémonie officielle. Chacun portait un triangle rose ou noir. A Toulouse, les gays et lesbiennes ne déposent plus de gerbe depuis qu'ils ont obtenu, il y a quelques années, que le discours des associations d'anciens déportés ne citent pas une communauté en particulier, ou sinon toutes. Ce discours neutre satisfait toutes les parties en présence et, cette année, il a été très réactif face aux derniers événements politiques A Montpellier, grande satisfaction pour les 80 gays et les lesbiennes à la cérémonie de la Journée nationale du souvenir de la Déportation. Parmi ces derniers, on notait la présence du Collectif contre l'homophobie, la Lesbian & Gay Pride, Angel, Ursus Sud, l'Attroupement des Lopettes Insurrectionnelles/Ils, l'Eglise MCC, Sida Info Service, Aides, le Chantier, ou encore des personnalités telles Jean-Paul Montanari, qui arborait son badge frappé d'un triangle rose acheté vingt ans plus tôt à Londres, et d'anciens militants du GLH. La politique de la main tendue à la préfecture de l'Hérault finit par porter ses fruits. Non pas que le préfet accepte les propositions d'intégration des associations gay et lesbiennes lors de la cérémonie officielle, mais plutôt que cette situation de rejet des autorités crée un élan de sympathie de la part de beaucoup d'élus qui sont restés au dépôt de gerbe, en forme de triangle rose, à l'issue de la cérémonie officielle. Monique Pétard, conseillère régionale de l'Hérault, a déclaré qu'elle proposerait "sans tarder que les associations gay et lesbiennes soient pleinement intégrées aux cérémonies officielles." Réaction bouleversante aussi d'un rescapé du camp de Buchenwald, Albert Simon, âgé de 77 ans, qui a tenu à redire "qu'il était contre l'homosexualité", expliquant que sa culture ne lui permettait pas de l'envisager mais qu'en revanche, il n'oublierait jamais le visage, à son réveil, de celui qui lui a sauvé la vie en prenant soin de lui alors qu'il était agonisant: "C'était le visage d'Herbert, et je me souviens parfaitement avoir remarqué tout de suite le triangle rose qu'il portait." Serge Dassault, maire de Corbeil-Essonnes, présidant la cérémonie de la journée de la déportation dans sa ville, a souligné que "cette journée a été instituée pour rappeler l'horreur des camps de concentration, dans lesquels plusieurs millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont morts parce qu'ils refusaient la dictature ou qu'ils étaient juifs, homosexuels ou tziganes". Propos étonnants de la part du propriétaire de "Valeurs actuelles", qu'on ne peut pas considérer comme particulièrement homophile. A Paris enfin, six ministres, au lieu d'un seul prévu, ont participé dimanche à Paris à la Journée nationale de la Déportation, entre les deux tours de l'élection présidentielle. Le secrétaire d'Etat à la défense, chargé des anciens combattants, Jacques Floch, devait représenter seul le gouvernement pour cette double cérémonie qui a réuni plusieurs milliers de personnes au Mémorial du Martyr Juif inconnu puis au Mémorial de la Déportation. En fait, il a été accompagné du ministre de l'intérieur, Daniel Vaillant, de la secrétaire d'Etat au logement, Marie-Noëlle Lienemann, du ministre délégué à la santé, Bernard Kouchner, de la ministre de la culture, Catherine Tasca, et du ministre de l'enseignement professionnel, Jean-Luc Mélenchon. Simone Weil, ancienne ministre de la santé, présidente de la fondation de la mémoire de la Shoah et membre du Conseil constitutionnel, a également été associée aux cérémonies. "Qu'on se serve des leçons de l'Histoire, car sans mémoire on perd ses repères et on fait des bêtises", a déclaré le maire PS de Paris Bertrand Delanoë, pour qui "cette année, le poids de l'Histoire et sa force nous donnent le chemin à suivre". Après les dépôts de gerbes officiels, plusieurs centaines de personnes portant des triangles roses sont entrées dans le Mémorial. Plusieurs ministres, dont Jacques Floch, ainsi que Bertrand Delanoë et Jean-Luc Romero, ont assisté au dépôt de gerbe par les associations homosexuels, au son des voix du chœur gay de Paris, Melo'Men. Toutes les informations sur la déportation homosexuelle se trouvent sur http://www.chez.com/triangles |
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